Scandale dans l'Open Source : IBM utilise l'arme des brevets pour faire taire TurboHercules
IBM, gentil animateur de la communauté Open Source ? L'image que s'est construit Big Blue au fil des ans en prend un sérieux coup, la société ayant agité l'arme des brevets pour réfréner les demandes d'un petit éditeur français Open Source, à l'origine d'un émulateur mainframe. Pour IBM, cette société est partie prenante d'une offensive coordonnée contre son activité grands systèmes, offensive derrière laquelle se trouverait notamment Microsoft. Mais la défense de Big Blue est pour le moins maladroite.
IBM s'apprête-t-il à siffler la fin de la récréation, quitte à écorner son image de gentil animateur auprès la communauté Open Source ? Dans un billet de blog, Roger Bowler, le co-fondateur de TurboHercules, petit éditeur français qui a développé un émulateur Open Source permettant de faire tourner l'OS mainframe d'IBM (z/OS) sur de simples serveurs x64, révèle que Big Blue a agité l'arme des brevets logiciels pour tenter de museler sa société.
Dans une lettre datée du 11 mars, Mark Anzani, le vice-président de l'activité mainframe du géant, indique ainsi à Roger Bowler : "selon vos propres affirmations, votre produit émule des parties significatives du jeu d'instructions propriétaire d'IBM et IBM possède de nombreux brevets qui seraient dès lors violés." La menace est claire. S'ensuit une liste de 173 brevets et applications de brevets que violerait TurboHercules avec son émulateur. Dont certains font partie d'une liste de brevets qu'IBM avait assuré, en 2005, ne jamais utiliser contre la communauté Open Source. Pour Florian Mueller, activiste anti-brevets logiciels à l'origine de la campagne NoSoftwarePatents, les masques tombent : "IBM utilise l'arme des brevets pour protéger son très lucratif monopole sur les mainframes contre le logiciel libre". Voilà qui fait désordre de la part d'un zélateur auto-proclamé du mouvement Open Source.
"Que les clients utilisent la plateforme de leur choix"
La pomme de la discorde tient dans l'utilisation du système z/OS sur d'autres plateformes matérielles que les mainframes de Big Blue. Un vieux dossier pour IBM. En 1956 en effet, les autorités américaines avaient signé un accord avec la société contraignant Big Blue à fournir son OS mainframe à ses concurrents. Dans les années 70, cet accord a permis à des concurrents comme Amdahl – chez lequel Paul Gorlinsky, l’un des fondateurs de TurboHercules, a passé deux ans au début des années 80 – ou Hitachi de se lancer dans les compatibles mainframes. Et à des petites sociétés comme T3 ou PSI de tenter l'aventure dans les années 90. Mais la situation s'est compliquée en 2001, avec la levée effective de l'accord conclu avec le DOJ, le ministère américain de la Justice. Big Blue a dès lors commencé à restreindre l'accès à z/OS pour les utilisateurs de mainframes compatibles. Dans le cas de PSI, cette logique a été poursuivie à l'extrême : alors que cette petite société commençait à séduire de grands clients (dont Lufthansa), le géant d'Armonk et ses avocats l'ont accusé de violer sa propriété intellectuelle et de ne pas se conformer à l'accord de licence régissant le logiciel. Dans le même temps, Big Blue a refusé de continuer à fournir des licences z/OS à des clients utilisant la plate-forme de PSI. Etranglé, PSI a porté l'affaire devant les tribunaux américains et devant la Commission européenne. Mais les poursuites se sont éteintes outre Atlantique après qu'IBM a décidé de racheter la petite société, la faisant taire définitivement.
Créé en 2009, par Roger Bowler et quelques associés français et américains, TurboHercules vise à commercialiser Hercules, un projet d'émulateur mainframe Open Source dont les développements ont démarré il y a une dizaine d'années. C'est pour ce faire que la petite société, fondée sur fonds propres par ses créateurs avec un capital de 17 000 euros, a contacté IBM (en juillet 2009 selon Roger Bowler) afin d'obtenir une licence z/OS spécifique autorisant son fonctionnement au-dessus d’Hercules. "Nous demandons simplement à IBM d'autoriser des clients légitimes, qui payent l'accès à son système d'exploitation pour mainframe z/OS, à déployer ce logiciel sur la plateforme de leur choix, y compris, si telle est l'option qu'ils retiennent, sur des serveurs low-cost utilisant des processeurs Intel ou AMD et Hercules", explique Roger Bowler dans un billet de blog. Une requête qui a entraîné la réponse désormais connue de Mark Anzani.
Pour IBM, une attaque contre le mainframe, la main de Microsoft
Faute d'accord avec le géant, TurboHercules a attaqué IBM devant la Commission européenne pour abus de position dominante. Aux Etats-Unis, deux autres plaintes de même nature visent Big Blue : la première émane du fabricant de compatibles mainframes T3, la seconde de la Computer & Communications Industry Association (CCIA), une association où on retrouve T3, TurboHercules, mais aussi Microsoft ou Oracle. Un Microsoft qui est également entré au capital de T3 fin 2008.
IBM ne manque d'ailleurs pas de relever ces coïncidences troublantes. Il y a quelques jours, la firme faisait remarquer que TurboHercules « est membre d’organisations financées par des rivaux tels que Microsoft pour attaquer le mainframe. » Peut-être. Mais, si tel est bien le cas, le fait est que Big Blue s'est pris les pieds dans le tapis en tentant d'organiser sa défense.
En complément :
- Plainte de TurboHercules : un élément d'une offensive plus vaste contre les mainframes d'IBM
- Mainframe : IBM met fin aux poursuites de PSI en le rachetant
- La lettre de Mark Anzani (IBM) à Roger Bowler (TurboHercules)