Tera 100 : le CEA met en ligne le premier calculateur pétaflopique français, mais à usage militaire
Le Commissariat à l'énergie atomique a mis en service aujourd'hui son supercalculateur pétaflopique, baptisé Tera 100. Assemblé par Bull, Tera 100 devrait sauf surprise figurer sur le podium du classement Top 500 des supercalculateurs dans le monde lors de sa publication le 31 mai à Hambourg. S'il constitue un succès pour l'industrie européenne et en particulier pour la filière HPC française, Tera 100 met aussi en lumière la pauvreté de la recherche française en matière de moyens de calculs par rapport aux Etats-Unis. Car Tera 100 sera avant tout aux services des usages militaires.
Avec près de six mois de retard sur le planning initial, un retard notamment lié au lancement plus tardif que prévu des dernières générations de puces Xeon d'Intel, le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) a annoncé aujourd'hui la mise sous tension de son nouveau supercalculateur Tera 100. Un supercalculateur qui, selon le CEA, affiche une puissance théorique de 1,25 Petaflops. Installé dans un nouveau datacenter à Bruyères le Chatel (Essonne), Tera 100 devrait rapidement succéder à Tera 10, mis en service en février 2006. Vingt fois moins performant, ce dernier devrait donc être mis au rebut.
Sans surprise, la mise sous tension de Tera 100 intervient quelques jours avant la prochaine conférence International Supercomputing 2010 de Hambourg, où sera publié le prochain classement semestriel des supercalculateurs mondiaux. Si tout se passe comme prévu, Tera 100 devrait figurer sur le podium du classement aux côtés de deux supercalculateurs du département de l'énergie US (DOE).
Un supercalculateur à usage militaire
Ironiquement, Tera 100 et Roadrunner (l'un des deux clusters du DOE) ne font pas qu'aider la science à avancer et illustrent une nouvelle forme de course aux armements entre les Etats. Comme l'explique le CEA, Tera 100 n'a d'autre vocation que d'être utilisé pour les programmes de simulation nucléaire, visant à "garantir la fiabilité des armes de la dissuasion nucléaire". C'est aussi le cas de Roadrunner, le supercalculateur du DOE installé à Los Alamos. Bref, enfermé dans son bunker siglé DAM (Direction des Applications Militaires), Tera 100 ne profitera guère à la science française, en dehors que quelques domaines très particuliers...
Les apprentis docteurs Folamour ne manqueront pas de ressources : Tera 100 met à leur disposition un total de 4 300 nœuds de calcul, des serveurs quadri-socket Xeon 7500 de type bullx série S (dont une partie en configuration NUMA). Ces serveurs intègrent un total de près de 140 000 cœurs processeurs et de 300 To de mémoire vive et. Ils disposent de plus de 20 Po de stockage. L'ensemble des systèmes est interconnecté par des commutateurs Infiniband QDR (Quad Data Rate) en topologie Fat Tree.
Histoire de faire oublier les petits nuages en forme de champignon, Bull tente de faire comprendre au quidam les capacités de la machine assemblée pour le CEA en tentant plusieurs approches. L'approche mathématique : la machine peut réaliser "plus d'opérations en une seconde que ce que la population mondiale ferait en 48 heures, à raison d'une opération par seconde par personne". La vision hollywoodienne : Tera 100 a "une capacité de transfert d'information équivalente à 1 million de personnes regardant en même temps des films HD". Et enfin une comparaison culturelle : Tera 100 a "une capacité de stockage équivalente à plus de 25 milliards de livres".
Le début d'une industrie européenne du HPC ?
Pour ce qui concerne l'approche plus terre à terre, c'est Jean Gonnord, le chef du projet simulation numérique et informatique du CEA, qui s'y colle. Gonnord, qui milite pour un développement des programmes HPC (High Performance Computing) en France et pour une vraie politique industrielle en la matière explique, ce qui n'est pas faux, que "la mise sous tension de Tera 100 constitue un important succès industriel. Elle souligne le savoir-faire du CEA et de Bull dans le développement de technologies ultra-performantes, au meilleur niveau mondial".
On peut toutefois douter du fait que " les bénéfices [du partenariat entre Bull et le CEA] iront sans délais à toute la communauté scientifique et industrielle européenne », même si l'on ne peut que se réjouir de voir un constructeur européen faire jeu égal dans le domaine du HPC avec les grands constructeurs américains. Pour que la communauté scientifique dans son ensemble bénéficie du HPC, il faudrait en effet que les finances de l'Etat ou du CEA puissent payer la mise en service de nouveaux clusters de type Tera 100, cette fois-ci mis intégralement à disposition des universitaires et chercheurs au sens large du terme (dans des domaines aussi variés que les sciences des matériaux, la cosmologie, les sciences du vivant...). Bref que les usages civils passent avant le militaire, ou au moins qu'ils soient traités avec les mêmes égards, comme l'Etat avait su le faire après la guerre en finançant à la fois le programme nucléaire militaire et le programme électrique civil.
Un vrai effort reste à faire pour le monde de la recherche en France
On est loin du compte, puisque GENCI (Grand equipement de calcul national), la structure nationale qui chapeaute les programmes HPC de la recherche française, ne dispose que d'un budget d'environ 25 M€ par an, un budget toutefois abondé par des financements européens. A titre de comparaison, le budget estimé sur dix ans de l'ensemble du programme de simulation d'armes nucléaires français est de 6,6 Md€ (un coût incluant la machine radiographique Airix, le laser Mégajoule et le programme Tera) - ce qui est toutefois moitié moins que le coût du programme d'essais nucléaires dans le Pacifique...
Pour encore faire référence au domaine militaire, l'achat d'un seul avion de combat Rafale, hors coûts d'exploitation, représente 10 ans de budget de GENCI. Résultat, le supercalculateur civil le plus puissant dont dispose actuellement la recherche française, le cluster Jade, plafonne à 147 TFlops en crête. Il est installé dans les locaux du CINES (Centre Informatique National de l’Enseignement Supérieur), à Montpellier.
Un supercalculateur pétaflopique est bien dans les plans français, le CEA et le CNRS travaillant à l'installation d'un des futurs supercalculateurs petaflopiques européens du programme PRACE (partnership for Advanced Computing in Europe), le TGCC (très grand centre de calcul), à Bruyères-le-Chatel. Mais un tel équipement ne verra sans doute pas le jour avant la mi ou la fin 2011. D'ici là, une dizaine d'universités et de centres de calculs civils américains devraient avoir largement dépassé la barre du petaflop. C'est toute la différence entre les discours sur l'économie de la connaissance et la réalité...
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