Le ministère de la Défense dit ne pas rouler que pour Microsoft... sans réellement convaincre

Interpellé en avril par le député UMP Bernard Carayon, au sujet d'un contrat-cadre signé avec Microsoft, le ministère de la Défense réplique. Et assure que les technologies du premier éditeur mondial seront mises en balance avec des solutions Open Source. Insuffisant toutefois pour dissiper le climat de suspicion qui entoure ce contrat.

Ni contournement des règles des marchés publics, ni création d'un lien de dépendance avec Microsoft. Dans une réponse écrite datée du 1er juin, le gouvernement répond aux interrogations du député UMP Bernard Carayon, qui en avril dernier s'inquiétait des conséquences d'un contrat-cadre passé en mai 2009 entre Microsoft et le ministère de la Défense. Un coup de projecteur inhabituel pour un marché informatique. Il faut dire que l'accord en question, par ses tarifs mais aussi par sa nature, sort à tout le moins des sentiers balisés de l'achat public.

Signé par la Dirisi (Direction interarmée des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information), cet accord-cadre, d'une durée de quatre ans, porte sur le "maintien en condition opérationnelle des systèmes informatiques avec option d'achat". Le tout à un prix "canon" : 100 euros HT par poste et par an, pour 188 500 postes la première année (avec des ajustements possibles pendant la durée du contrat entre 170 000 et 240 000 postes). Le tout donnant accès, pour le premier exercice, à une vaste palette d'applications Microsoft. Quelque 450 000 licences sont ainsi référencées. Des logiciels clients (62 600 mises à jour vers Windows Enterprise, 138 000 Client Access License - CAL - Windows, 84 000 licences Office, 50 000 CAL Exchange, etc.), mais aussi des applications d'administration des environnements ou des logiciels serveurs (1 000 SQL Server en diverses éditions, 850 serveurs Exchange, 4 500 Windows Server, etc.). D'où les interrogations de Bernard Carayon sur la légalité de la procédure et surtout sur la mainmise qu'offre ce contrat à Microsoft dans un ministère aussi stratégique. 

Une alternative Open Source en 2011

Dans sa réponse, le gouvernement tente d'évacuer les doutes du député sur la légalité de la procédure et, surtout, révèle qu'en parallèle de son contrat avec Microsoft, le ministère travaille à une alternative, basée sur des logiciels Open Source. "La stratégie du ministère en la matière consiste à déployer en parallèle deux ou trois solutions différentes, l'objectif étant d'éviter à la fois le foisonnement et la dépendance et de pouvoir disposer en permanence d'une solution de rechange éprouvée, tout en renforçant le pouvoir de négociation du ministère vis-à-vis de ses fournisseurs. Ainsi, la première version de cette architecture logicielle est principalement issue de solutions propriétaires et elle tire profit de l'accord-cadre passé avec Microsoft. Mais une autre version, composée sur la base de solutions Open Source, sera disponible dès 2011 et déployée parallèlement à la première", détaille la réponse du gouvernement.

Cette vision centrée sur un certain équilibre entre solutions Microsoft et alternatives libres est toutefois, pour l'instant, contredite par des remontées du terrain. Celles-ci font plutôt état d'une extension des technologies Microsoft au-delà de la seule bureautique (uniformisation de la messagerie sous Outlook, remplacement de CMS libres par SharePoint), via la mise en place du Socle Technique Commun Inter-Armées (STCIA). Dans sa réponse à Bernard Carayon, le gouvernement présente le contrat comme un simple moyen d'assurer la mise à jour des produits Microsoft déjà déployés.

Chez Microsoft, tout est déjà payé

Pour le Conseil National du Logiciel Libre (CNLL), cette réponse n'est qu'une façon de noyer le poisson. "Ce contrat soulève un problème stratégique : pour chaque besoin informatique, le ministère a le choix entre utiliser une technologie déjà payée dans le cadre de l'accord avec Microsoft ou faire développer une autre solution. Il n'a donc plus aucun intérêt à aller chercher une solution alternative", explique Stéfane Fermigier, membre du CNLL et fondateur de l'éditeur Open Source Nuxeo, qui ajoute que depuis la signature de cet accord les fournisseurs de solutions libres témoignent de la difficulté croissante à être retenu dans les marchés passés par la Défense. Avant de remarquer que la réponse de l'exécutif manie avec soin l'art de l'understatement : "elle parle d'un marché visant le domaine de la bureautique, alors qu'il va bien au-delà". Il concerne de facto de nombreuses technologies serveurs, comme nous l'avions révélé en avril dernier.

Un centre de compétences co-animé par les équipes Microsoft

Le contrat comporte également un volet de prestations de service, avec la création d'un centre de compétences Microsoft (CCMS) au sein du ministère, plus précisément dans les locaux de la Dirisi, au fort de Kremlin-Bicêtre. Cette organisation de support intégre une équipe d'architectes et ingénieurs de l'éditeur. "Le périmètre couvert (par le CCMS, NDLR) concerne l'ensemble des technologies Microsoft et leur intégration avec les autres environnements de l'administration : environnements réseaux, accès intranet et internet, systèmes de stockage, environnements centraux Unix / IBM", précise une directive interne que nous avions dévoilée en avril dernier. Y compris quand ces intégrations touchent à des "services traitant des informations sensibles classifiées Défense", pointait l'Association française des utilisateurs de logiciels libres (Aful), dans une lettre adressée mi-février à quatre parlementaires - dont Bernard Carayon. Pour Stéfane Fermigier, "avec ce CCMS, c'est Microsoft qui est aux manettes dans le schéma directeur de la Défense". Le CNLL souhaite rencontrer le ministère pour discuter des conséquences de l'accord-cadre. Et la réponse du gouvernement à Bernard Carayon n'y a rien changé.

En complément :

- Licences Microsoft : le régime de faveur dont bénéficie le ministère de la Défense fait des vagues

- La réponse du gouvernement à la question de Bernard Carayon (UMP)

- Licences : Microsoft transforme Windows 7 en Cheval de Troie de la Software Assurance

Marchés opaques : les pouvoirs publics condamnés au Québec

Une victoire pour les associations de promotion du libre. Au Québec, la passation d'une commande publique, sans publication d'un marché ouvert à la concurrence, au profit de Microsoft vient d'être condamné par un tribunal canadien. L'affaire, qui faisait suite à une plainte de la société Savoir-faire Linux, portait sur un contrat de plus de 700 000 $ accordé par la Régie des rentes au Québec à Microsoft Canada, pour une migration vers Windows Vista. 

Rappelons qu'en France, le contrat-cadre entre Microsoft et le ministère de la Défense a lui aussi été passé en dehors de tout appel d'offres ou de publicité préalable. Selon la réponse du gouvernement au député Carayon, le contrat a été conclu selon "la procédure de marché négocié sans publicité préalable ni mise en concurrence, en conformité avec le code des marchés publics". Et d'ajouter que le contrat a été examiné par la commission des marchés publics de l'État, qui a émis un avis favorable. Dans sa réponse, le gouvernement indique que le recours à cette procédure ne serait "nullement exceptionnel, le ministère de la Justice l'ayant également retenue pour l'achat de licences auprès de la société Business Objects".

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