Chorus dans la tourmente : Jacques Marzin (AIFE) défend crânement son bébé
Auditionné par la Commission des Finances, suite aux retards de paiement dans différents ministères consécutifs à la mise en place du progiciel Chorus et à un énième rapport à charges de la Cour des comptes, Jacques Marzin, le directeur de l'AIFE, a défendu son bilan. Niant que la mise en place de l'ERP sur base SAP soit "un échec".
Rapport de la Cour des comptes doutant de la possibilité de tenir les comptes de l'Etat "à un horizon déterminable", retards de paiement dus au progiciel au ministère de la Défense et, dans une moindre mesure, à l'Education Nationale. Entendus la semaine dernière par la Commission des Finances de l'Assemblée Nationale, Philippe Parini, directeur général des finances publiques (le patron de la DGFiP chargée de produire les comptes de l'Etat que certifie la Cour des comptes) et Jacques Marzin, le directeur de l'Agence pour l'informatique financière de l'Etat (AIFE, qui pilote le chantier Chorus au quotidien), devaient s'attendre à un feu nourri. Ils n'ont pas été déçu. Les promoteurs de Chorus ont toutefois maintenu leurs positions : certes, le projet connaît quelques difficultés - logiques compte tenu de sa taille (Chorus couvrant toute l'administration centrale, soit près de 30 000 utilisateurs) - mais il respecte tant le périmètre fonctionnel attendu que ses principaux jalons.
Tant et si bien que la confrontation a tourné au dialogue de sourds entre, d'un côté, un Jacques Marzin insistant sur le respect de son cahier des charges et un Philippe Parini rappelant que Chorus a, avant tout, été créé pour gérer l'engagement de la dépense, et de l'autre, les représentants de la commission ou de la Cour des comptes dénonçant les dysfonctionnements actuels et le manque de préparation des utilisateurs. Christian Babusiaux, président de la première chambre de la Cour des comptes, relève ainsi quatre insuffisances majeures de Chorus : une réingénierie des processus comptables qui n'a pas été menée à son terme, un manque de cohérence globale (y compris dans l'articulation avec le système de l'Opérateur national de paie en cours de construction), la persistance de pratiques anciennes témoignant d'une conduite du changement perfectible et enfin la présence de données non fiables dans les systèmes. Autant de difficultés qui conduisent la Cour à estimer que des "surcoûts importants" sont à prévoir.
Des surcoûts inévitables, mais non chiffrés
"En 2008, l’objectif affiché était que Chorus tienne toute la comptabilité de l’État en 2010. Fin 2008, cette échéance avait été repoussée à 2011. Début 2010, la bascule de la comptabilité générale est une nouvelle fois décalée d’un an, pour une échéance aujourd’hui fixée au 1er janvier 2012. Le report du déploiement complet de Chorus va entraîner des surcoûts, des études complémentaires et de nouveaux développements [...] nécessaires, en particulier, pour maintenir des applications anciennes", a ainsi indiqué Christian Babusiaux, précisant n'avoir aucune visibilité sur l'importance de ces surcoûts. "Ils dépendront de l’ampleur des modifications qui seront apportées à Chorus dans les semaines qui viennent". Une façon de dire qu'il s'attend à de grands chambardements dans ce qui reste le plus grand projet informatique de France.
Malgré ces critiques persistantes - et les dysfonctionnements, les retards de paiement, concrétisant les difficultés de Chorus -, Jacques Marzin continue à justifier ses choix. "Mon avis est celui d’un technicien : pour avoir piloté la conception générale et détaillée de Chorus, je sais que les administrations ne sont pas prêtes à concevoir un plan de comptabilité analytique de l’État qui soit stable. Mais Chorus intègre la comptabilité d’analyse des coûts, conformément à mon cahier des charges", explique-t-il. Une façon de dire que la principale attente de la Cour des comptes, une comptabilité de l'Etat dans Chorus facilitant l'audit des comptes, se heurte à la réalité du terrain.
Paiements : des retards résorbés "à 80 %"
Et Jacques Marzin de défendre son bilan, estimant avoir tenu ses objectifs en matière de contenus ou de réorganisation de la fonction budgétaire et comptable. Selon lui, avant Chorus, l'Etat comptait 3 000 adresses de facturation. "L’objectif est de ramener le nombre de ces adresses à moins de 500", note-t-il. Sans toutefois nier les difficultés nées de la mise en œuvre de la v4, ayant entraîné un déploiement massif auprès de 10 000 utilisateurs du progiciel (auxquels s'ajoutent 10 000 utilisateurs de formulaires). "Les jalons très précis qui avaient été posés n’ont pas tous pu être respectés en raison de décisions tardives d’ordre organisationnel", explique le directeur de l'AIFE. Mais, selon lui, ces difficultés, notamment à la Défense, à l’Agriculture et au MEEDDEM (Environnement, Ecologie, Développement durable et Mer), seraient en voie de résolution, grâce à des actions correctrices. "Tous les ministères qui ont du retard (dans les paiements) – ce qui n’est le cas ni du ministère de l’Intérieur, ni de ceux de la Justice ou de l’Éducation nationale – indiquent qu’ils l’auront résorbé à la fin du mois de septembre, promet-il. Aujourd’hui, ce retard serait absorbé à 80 %. "Si la tendance se poursuit, le retard devrait être comblé à l’été", confirme Philippe Parini. Avant de glisser : "S’il subsiste des difficultés à ce moment-là, on pourra penser qu’elles sont consubstantielles au système".
Même ténacité du directeur de l'AIFE en ce qui concerne les efforts de formation qui accompagnent les déploiements. "60 000 jours de formation ont été dispensés aux utilisateurs de la V4. Nous avons saturé toutes les salles de formation de l’administration et celles de la région parisienne en location, parce qu’il faut former les gens au moment du démarrage, et non trois mois avant", explique Jacques Marzin. Selon lui, la montée en compétence des services serait normale, "classique pour un progiciel SAP, c'est-à-dire qu’elle prend du temps". Et d'ajouter que le taux de satisfaction des utilisateurs par rapport à ces formations dépasse les 85 %. Et que 200 des 500 millions d'euros du projet (le budget d'investissement de Chorus) sont consacrés à la gestion du changement. "Nous avons sûrement fait des erreurs dans la gestion du changement, mais nous sommes en train de les rectifier. Ce n’est jamais simple de mettre en place des centres de services partagés et un progiciel SAP en production six mois après les dernières décisions d’organisation", plaide Jacques Marzin.
"Trois mois de galère, six mois pour stabiliser, dix-huit mois pour se sentir à l’aise"
"Aujourd'hui, Chorus compte 14 000 utilisateurs et gère 38 % du budget de l’État : ce n’est pas un échec ! Le projet est en cours de démarrage et il connaît quelques frottements, explique Jacques Marzin. Partout, dans le privé comme dans le public, dans les PME comme dans les grands groupes, il y a trois mois de galère et il faut six mois pour stabiliser les opérations courantes, dix-huit mois pour se sentir à l’aise". Une vision de "technicien" qui ne semble toutefois pas convaincre totalement les membres de la commission des Finances et le représentant de la Cour des comptes, inquiets des retours de terrain qu'ils ont pu recueillir. Jérôme Cahuzac, président de la commission des Finances, glissant par exemple : "Le secrétariat général pour l’administration de la police de Lyon a expliqué à la MILOLF (Mission d’information de la commission des Finances sur la mise en œuvre de la LOLF, loi organique relative aux lois de finances, NDLR) que les effectifs chargés de l’exécution de la dépense étaient supposés passer de huit à soixante-neuf". Or, rappelons que le retour sur investissement du projet dépend tout entier des réductions d'effectifs dans les services comptables. Sans ceux-ci, même en remplaçant 80 applications ministérielles, l'Etat laissera sur la table 400 millions d'euros de plus qu'actuellement en 10 ans, selon les calculs de l'Inspection générale des Finances en 2006.
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