Clause de responsabilité : Faurecia perd définitivement sa bataille contre Oracle

Dans un jugement rendu fin juin, la Cour de cassation a finalement validé le jugement de la Cour d'appel de Paris qui avait limité la responsabilité d'Oracle à la seule valeur des licences logicielles dans le cadre d'un déploiement avorté de progiciel au début des années 2000 chez l'équipementier automobile Faurecia. Ce dernier demandait plus de 60 M€ de dommages et intérêts.

Dans un arrêt rendu le 29 juin 2010, la Cour de cassation a validé le jugement de la Cour d'appel de Paris rendu le 26 novembre 2008, qui limitait la responsabilité d'Oracle à la seule valeur des licences achetées par Faurecia dans le cadre du déploiement avorté de la version 12 du progiciel intégré d'Oracle chez l'équipementier automobile.

En 1997, Faurecia s'était lancé dans un vaste chantier de refonte de ses systèmes d'information, avec la volonté de déployer un progiciel intégré couvrant notamment la gestion de sa production et la commercialisation de ses produits. La société avait alors choisi de déployer la version 12 du logiciel d'Oracle, à l'époque attendue en 1999. L'éditeur devait développer une version du logiciel adaptée aux besoins du secteur automobile et Faurecia devenir l'un des clients référence de cette solution. Sauf que rien ne s'est passé comme prévu.

Quand Oracle abandonne Faurecia en rase campagne

 Malgré les promesses d'Oracle, le logiciel n'était toujours pas disponible au tournant de l'année 2000, ce qui a contraint Faurecia à mettre en oeuvre avec Oracle une solution provisoire dans certains de ses sites dans le cadre du passage de l'an 2000. Problème, même cette solution paliative s'est avérée problématique. Pour couronner le tout, Oracle a finalement décidé unilatéralement de stopper les développement de son progiciel, laissant un Faurecia estomaqué à ses difficultés. Bilan selon l'équipementier : des dizaines de millions de dépenses envolées pour rien, ou presque et surtout un désastre informatique sur les bras.

 fau prod emis 10069
L'affaire Faurecia/Oracle : un sac de noeud autour
de la responsabilité.
(Photo crédit : Stefan Meyer/Faurecia)

La société décide donc de stopper ses paiements à Oracle qui entre temps à cédé sa créance à un établissement financier, Franfinance. Estimant qu'Oracle a commis une faute grave dans l'exécution de son contrat, Faurecia appele en garantie la société Oracle, puis assigne cette dernière aux fins de nullité pour dol ou résolution pour inexécution de l’ensemble des contrats signés par les parties. Faurecia demande également plus de 60 millions en domages et intérêts.

Mais voilà, dans le contrat passé entre l'éditeur et la société figure l'une de ses clauses de responsabilité donc les éditeurs de logiciels ont le secret et qui limite la responsabilité d'Oracle au coût des seules licences logicielles, soit un petit 200 000 €.


Bataille autour de la clause de responsabilité

Après dix ans de bataille juridique, la cour d'appel de Paris avait finalement jugé en 2008 que la clause limitative de responsabilité était valide. La cour estimait notammant que « La clause limitative de réparation, telle qu’elle a été librement négociée et acceptée par la société Faurecia, équipementier automobile au niveau mondial, rompu aux négociations et averti en matière de clause limitative de réparation, n’a pas pour effet de décharger par avance la société Oracle du manquement à une obligation essentielle lui incombant ou de vider de toute substance cette obligation, mais seulement de fixer un plafond d’indemnisation qui n’est pas dérisoire, puisque égal au montant du prix payé par le client au titre du contrat de licences".

Elle estimait également que "La société Faurecia ne démontre pas l’existence d’une faute lourde imputable à la société Oracle; qu’il convient en effet de retenir que la société Oracle, en dépit des prestations qu’elle a effectuées, n’a pas su réaliser et mettre en oeuvre le nouveau progiciel standardisé répondant aux besoins spécifiques de la société Faurecia, sans que la preuve soit rapportée qu’elle ait eu conscience du dommage qu’elle allait causer ou qu’elle ait commis une faute d’une gravité telle qu’elle tiendrait en échec la clause limitative de réparation".

Faurecia avait alors tenté de faire casser ce dernier jugement. C'est cette tentative qui a finalement échoué, la Cour de cassation ayant finalement rejeté le pourvoi.

Quand la cour de cassation fait le bonheur des éditeurs
La Cour considère notamment que "seule est réputée non écrite la clause limitative de réparation qui contredit la portée de l'obligation essentielle souscrite par le débiteur"  et "que l’arrêt [de la Cour d'appel] relève que si la société Oracle a manqué à une obligation essentielle du contrat, le montant de l’indemnisation négocié aux termes d’une clause stipulant que les prix convenus reflètent la répartition du risque et la limitation de responsabilité qui en résultait, n’était pas dérisoire".

Elle note aussi "que la société Oracle a consenti un taux de remise de 49 %", que le contrat prévoyait que la société Faurecia serait le principal représentant européen participant à un comité destiné à mener une étude globale afin de développer un produit Oracle pour le secteur automobile et bénéficierait à ce titre d’un statut préférentiel lors de la définition des exigences nécessaires à une continuelle amélioration de la solution automobile d’Oracle pour la version V 12 d’Oracle Applications". Elle valide donc la déduction de la cour d’appel selon laquelle "la clause limitative de réparation ne vidait pas de toute substance l’obligation essentielle de la société Oracle" et juge que la Cour d'Appel "a ainsi légalement justifié sa décision".

Pire pour Faurecia et pour les entreprises utilisatrices, la Cour de Cassation juge que "la faute lourde ne peut résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur". En l'occurrence elle juge donc infondée l'analyse de Faurecia selon laquelle "après avoir constaté que la société Oracle n’avait pas livré la version V 12, en considération de laquelle la société Faurecia avait signé les contrats de licences, de support technique, de formation et de mise en oeuvre du programme Oracle applications, qu’elle avait ainsi manqué à une obligation essentielle et ne démontrait aucune faute imputable à la société Faurecia qui l’aurait empêchée d’accomplir ses obligations, ni aucun cas de force majeure, la cour d’appel a jugé que n’était pas rapportée la preuve d’une faute d’une gravité telle qu’elle tiendrait en échec la clause limitative de réparation ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, violant les articles 1134, 1147 et 1150 du code civil".

De quoi redonner vie aux clauses de responsabilité et faire le bonheur des éditeurs, à défaut de faire celui de nombre d'utilisateurs, piégés par des déploiements bancals de progiciels et qui se verront désormais opposer par leur fournisseur l'arrêt n°732 du 29 juin 2010 de la Cour de cassation. Notons pour la petite histoire que Faurecia est aujourd'hui un fidèle client de SAP - notamment pour les modules de planning de production(PP), de gestion des approvisionnements (MM) et de gestion des ventes (SD)- et qu'il a mis en place plusieurs centre de compétence SAP notamment à HagenBach en Allemagne et à Tunis en Tunisie. L'équipementier français a également été cité par SAP comme l'un de ses principaux clients français pour 2009.



A lire aussi sur LeMagIT :

Pascal Agosti, avocat : "l'affaire IBM/Maif va réduire le sentiment d'impunité des SSII"

En savoir plus :

L'arrêt de la Cour de cassation

Une analyse juridique de la procédure par le cabinet Bird & Bird

Pour approfondir sur Applications métiers