Mainframes : plus ça change, moins ça change...
En annonçant la dernière génération de ses grands systèmes z/OS, le zEnterprise 196, Big Blue a surtout mis l'accent sur les capacités de son nouveau-né à fédérer et à orchestrer des environnements applicatifs répartis sur des systèmes de nature hétérogène, et notamment à base de lames BladeCenter Power 7 et x86. Reste que nombre d'utilisateurs de la plate-forme de Big Blue retiendront surtout le fait que le petit dernier de la marque affiche des performances en hausse de 60% et atteint la barre symbolique des 50 000 MIPS.
Quoiqu’en dise IBM, le nouveau système central zEntreprise 196, que la firme a annoncé jeudi dernier est avant tout un mainframe plus puissant et plus rapide que ses prédécesseurs (voir encadré plus bas), même si Big Blue met avant tout l’accent sur son aptitude (future) à fédérer de multiples systèmes Unix et x86 autour de lui.
IBM présente l’architecture «multiplate-forme» du zEnterprise comme le summum en matière de choix et de souplesse pour les entreprises. Une position que les sceptiques pourront considérer comme une tentative de consolider son emprise sur ses grands clients en utilisant les nouvelles aptitudes du zEntreprise pour attirer vers lui encore plus d’applications qui, avec la généralisation des environnements Unix et x86, ont plutôt tendance à s'éloigner de ses grands systèmes. Bref, une version Big Blue du «embrace and extend» (embrasser et étendre) qu’a longtemps pratiqué Microsoft.
Faire du mainframe l'orchestrateur du datacenter
La nouvelle génération de grands systèmes zEntreprise sera ainsi capable, à terme, de fédérer des serveurs x86 virtualisés avec KVM. Pour cela, IBM a conçu le zEnterprise BladeCenter Extension (qui permet d’accueillir des serveurs x86 et Power7 dans un châssis communiquant directement avec le mainframe). L’allocation des applications se fera en théorie sur la plate-forme la mieux adaptée à les traiter grâce au logiciel IBM Unified Resource Manager, qui agira comme un orchestrateur à même de piloter des architectures hétérogènes.
Ce discours résonne comme une douce musique aux oreilles de certains grands utilisateurs mariés à la plate-forme d’IBM, comme Markus Schmid, le CIO de la compagnie d’assurance Swiss Re, qui témoignait lors du lancement du zEntreprise. Schmid a ainsi expliqué qu’il déploiera le zEnterprise dès qu'il sera disponible, et qu’il fera appel à l'extension BladeCenter (zBX) et à Unified Resource Manager pour réarchitecturer les emplacements où s’exécutent les différentes charges de travail(workload) de son entreprise, tout en maintenant un contrôle fort sur l’administration de son environnement.
Schmid explique ainsi que certaines applications de trading qui s’éxecutaient traditionnellement sur serveurs Power pourraient être rappatriées sur le zEnterprise, tandis que certaines applications mainframe écrites en COBOL, telles que les applications de clôture financière, pourrait être portées sur des environnements Java s'exécutant sur serveurs Power ou x86.
50000 MIPs dans un serveur unique
Les mainframes continuent à gérer certaines des applications les plus exigeantes de la planète et le nouveau zEnterprise se devait avant tout de répondre aux besoins des clients mainframes qui comme les autres voient leurs besoins de performances continuer de croitre année après année.Comme à son habitude à chaque renouvellement, IBM a franchi un nouveau palier de performance avec son dernier-né. Le zEnterprise 196 peut ainsi embarquer jusqu’à 96 coeurs processeurs fonctionnant à 5,2 GHz pour un maximum de 50.000 MIPS. A titre de comparaison, le plus puissant des z10 accueillait un maximum de 64 coeurs fonctionnant à 4,4 GHz. Globalement IBM indique que le zEntreprise 196 offre 40% de performances en plus qu'un Z10 EC a nombre de CPU égal et 60% de performances en plus lorsqu'il est configuré avec l'ensemble de ses processeurs. Côté mémoire, la capacité maximale est désormais de 3 To avec un maximum de 1To par LPAR
80 des coeurs du zEntreprise 196 peuvent être affectés à l’exécution d’applications et comme auparavant, certains peuvent être configurés comme des moteurs spécialisés, tels que le System z Application Assist Processor (zAAP) pour les charges de travail Java ou le System z Integrated Information Processor (zIIP) - pour l’optimisation des applications de base de données, de chiffrage IP ou le traitement XML. A noter aussi la possibilité de configurer certains moteurs pour l'exécution de Linux (IFL ou Integrated Facility for Linux).
Un mainframe plus "vert"...
IBM a aussi mis l’accent sur la gestion d’énergie et indique que le nouveau mainframe consomme la même quantité d'électricité que son prédécesseur pour 60% de capacités supplémentaires, notamment grâce à la gravure en 45 nm de ses processeurs, mais aussi à des alimentations et à une gestion de l’alimentation plus efficaces. En outre, une option de refroidissement par eau permet de réduire la consommation d'énergie de 12,9% supplémentaires.
Implicitement le lancement du zEntreprise est une admission par IBM que le mainframe n’est pas adapté à toutes les applications que ce soit en matière de coûts ou de performances, explique toutefois Jonathan Eunice, un analyse du cabinet Illuminata. «Le problème avec les systèmes centraux est qu’ils sont trop coûteux pour un grand nombre d’applications» indique Eunice, pointant du doigt en particulier celles qui nécessitent du calcul intensif ou des calculs en virgule flottante. En revanche, «Le mainframe est bon lorsqu’il s’agit de traiter de grand volumes de données, de gérer des entrées/sorties intensives ou de fournir une grande robustesse, mais son rapport prix performances est mauvais lorsque l’application est gourmande en ressources CPU». En fait, il est de notoriété publique depuis longtemps que le point fort des mainframes n'est pas la puissance de leurs CPU. Des tests récents menés avec l'émulateur TurboHercules ont montré qu'un serveur Octo-Socket Nehalem-EX affiche une performance de 3200 MIPS . Sans émulation, les performances seraient sans doute 5 à 10 fois supérieures, ce qui veut dire qu'un Octo-Socket Intel fait peu ou prou jeu égal en termes de performances pures avec un z10 EC (et ce à une fraction du prix). Ce qui fait la différence est l'exceptionnelle gestion des entrées sorties des mainframes, ainsi que la stabilité de leur OS et son aptitude à exploiter la puissance disponible. Mais chaque jour qui passe rend la tâche de Big Blue un peu plus ardue. D'où sans doute la tentative d'élargir le spectre du mainframe à d'autres environnements.
Cela n'empêche pas Ambuj Goyal, le patron du développement et de la fabrication de la division Systèmes et technologies de Big Blue - passé autrefois par Lotus sans laisser un souvenir mémorable - de noter que cet argument des performances est moins pertinent au vu des performances du nouveau zEnterprise.
Il note toutefois qu’IBM a renoncé depuis longtemps à contraindre ses clients à migrer d’une plate-forme à une autre : «Ce fut le cas dans les années 90, lorsque la réponse à chaque question était "le système central"», explique Goyal. Mais c’était avant que Big Blue ne mène une politique agressive de développement sur le marché Unix et Linux. "Nous avions presque perdu notre chemin car nous étions plus concentrés sur la vente de ce que nous avions au catalogue que sur ce que les clients désiraient."
Goyal note aussi que la stratégie Multi-architecture de Big Blue ne restera pas éternellement centrée sur le mainframe. Mais en attendant, la compagnie semble vouloir conforter sa base installée en montrant que le System z n’est pas fermé aux autres environnements et qu’elle peut simplifier leur administration en la fédérant depuis ses mainframes. Reste qu’à ce jour aucune indication n'a été fournie sur le coût des licences associées, qui devrait être très "mainframe". Pour mémoire BMC a fourni récemment un éclairage intéressant sur le coûts des grands systèmes en citant des chiffres produits par Gartner lors du lancement de nouvelles versions de certaines de ses applications mainframe tirant parti des processeurs spécialisés des System z. L'éditeur a ainsi évoqué une facture par MIPS - l’unité de mesure de performance des grands systèmes - de 2254 à 3367 $ par an pour un moteur mainframe standard et de 150 à 200$ par MIPS dans le cadre de l’usage d’un processeur spécialisé de type ZIIP (un ZIIP est en fait un coeur CPU mainframe standard mais dont l’usage est spécialisé pour un type d’applications).
Pas de quoi stopper les migrations de certains utilisateurs
Si Swiss Re se déclare séduit par la stratégie d’IBM, cela n’est pas le cas de tous les clients. «Je crois que je ne comprend pas vraiment où est l’intérêt» explique ainsi un spécialiste de la gestion de la capacité et de la performance d’une grande société d’assurance du Midwest américain. Rien n’empêche un client Mainframe de porter certaines de ses applications vers ou hors du mainframe et les précédentes tentatives d’IBM de fournir une gestion applicative centralisées (Global Workload Management) comme c’était le cas avec Entreprise Ressource Manager «ont tout simplement tourné court»
La société d’assurance utilise actuellement un mainframe z10 pour des applications traditionnelles, telles que le traitement des dossiers d’indemnisation des clients ou la gestion des dossiers clients. Elle y a aussi déployé des applications SAP ainsi que d'autres applications sous zLinux. Mais son orientation à long terme est d'outsourcer progressivement ces applications à un prestataire tiers et de se débarrasser de son mainframe. "Nous ne voulons pas le mettre à jour à nouveau, dit-il, citant notamment le coût exorbitant des logiciels tiers, plutôt que celui du matériel IBM. «Ce sont les éditeurs tiers qui plombent le mainframe, plus que tout autre raison».
Survivre dans un monde x86 virtualisé
En fait, malgré tout le discours autour de l’ouverture et de l’interopérabilité, le principal focus d’IBM avec le zEnterprise est sans doute le renouvellement des systèmes des clients existants et la consolidation de ses positions, plutôt qu’un large effort de conquête de nouveaux clients. «Cette stratégie n'est pas conçue pour les clients ou les applications qui n'ont pas d'affinité avec les systèmes centraux», avoue ainsi Goyal - par «affinité» Goyal désigne certainement les applications qui doivent à un moment ou à un autre interagir avec un mainframe ou des applications qui sont candidates à une migration sur System z.
Pour Eunice, c'est une bonne chose qu’IBM l’admette, car, selon lui, le nombre d’entreprises qui s’équipent pour la première fois d’un mainframe est très faible - En fait, le nombre de migration d’applications vers des systèmes ouverts dépasse sans doute nettement celui des rapatriements d’applications sur grands systèmes. «Il y a en fait deux conceptions du mainframe qui s’affrontent : d’un côté les entreprises qui disent que c'est le coeur de leurs activités et de l’autre,celles qui décrivent le mainframe comme un dinosaure», explique Eunice. "Bien sûr, il y a de nouveaux clients - parfois dans des industries non traditionnelles - mais si je suis un utilisateur Windows, il y a peu de chance que je me laisse tenter par un System z."
Si les grands systèmes IBM ne sont pas prêts de disparaitre, la tendance dominante dans les datacenters d’entreprises aujourd’hui est plutôt aux systèmes banalisés faisant tourner Linux et Windows au dessus d’une couche de virtualisation comme VMware. Et si le zBX supportera des lames x86 dès l'an prochain (seules quelques lames Power sont pour l’instant supportées), la version initiale se limitera au support de KVM sur Linux et excluera Hyper-V ou VMware. «Je ne pense pas que VMware soit en odeur de sainteté ici» explique Eunice. "Cette version se concentre sur la gestion des charges de travail version IBM. Or VMware est une menace infernale pour les entreprises historiquement présentes sur le secteur de l’administration de systèmes et cannibalise une large partie du business des éditeurs d’outils d’administration».
Goyal affirme toutefois qu’un support futur de VMware n'est pas à exclure. "KVM est ce que nus supportons dans la première version», et au fil du temps IBM livrera" ce que ses clients lui demanderont».
Article rédigé par LeMagIT avec d'importantes contributions d'Alex Barrett, SearchDataCenter.com