L’état du monde IT : l’année des occasions ratées pour le gouvernement
2008 restera sans doute comme l’année des occasions manquées en matière de politiques publiques liées aux nouvelles technologies. Le gouvernement a pourtant tenté d’orienter le secteur en faisant feu de tout bois, mais s'est montré la plupart du temps décevant. Quand il n'a pas suscité une franche opposition, comme dans le cas de la loi instituant l’Hadopi.
Tout avait pourtant semblé commencer sous un jour nouveau. Lancée en mars avec la présence de Nicolas Sarkozy à l’inauguration du Cebit 2008 à Hanovre – principal événement informatique du monde –, l’année numérique en matière de politique publique a fini en eau de boudin avec un plan spécifique qui nie tout un pan de l’activité – celui du logiciel notamment d’entreprise -, une loi « création et Internet » critiquée par les internautes, et finalement un plan de relance de l’économie qui oublie l’IT, secteur pourtant pourvoyeur de forte croissance et d’innovation.
Un secrétariat d’Etat prometteur mais qui fait pschit
Côté politique publique, la nomination d’un secrétaire d’état à l’Economie numérique était censée donner un souffle nouveau au secteur. Mais il aura fallu très vite déchanter. Dès l’annonce en fait. Non pas qu’Eric Besson ne soit pas qualifié, mais la charge d’un secteur devenu clé tant côté consommateur que côté entreprises, et en manque d’un terreau industriel fort dans notre pays, aurait sans doute mérité un emploi à plein temps. Hors Eric Besson est demeuré en charge de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques et a en plus accepté une mission sur l’économie du football (sic).
Du coup, l’année numérique, dont la feuille de match était pleine de promesses, s’est avérée bien pauvre au final. Les Assises organisées au printemps l’ont était dans la précipitation, et surtout à l'issue d'une consultation extrêmement réduite dans le temps alors même que les pouvoirs publics n’ont jamais fait montre d’une connaissance pointue des problématiques de ce jeune secteur. Sans surprise, le résultat s’est avéré bien fade, avec pour symbole l’absence de Nicolas Sarkozy – pourtant annoncé de longue date – lors de la présentation du plan numérique 2012, fruit de cette grande réflexion nationale.
Ce plan gouvernemental ne fait souvent que reprendre des politiques déjà à l’œuvre ou prévues et sans réels moyens financiers alloués. Et surtout sans que ne se dessine aucune politique industrielle concernant le logiciel, secteur clé d’un développement technologique indépendant, et vecteur par lequel les Etats-Unis ont assis leur domination. Du coup les professionnels du secteur sont déçus et parient plutôt sur l’Europe pour promouvoir le développement d’un tissu industriel à l’échelle du continent.
D’autant qu’avec son plan de relance en réponse à la crise, le gouvernement a eu début décembre une seconde occasion de parier sur l’industrie IT. Peine perdue, le numérique a à peine été mentionné comme possible élément de croissance, alors même que l’économie de la connaissance – dont l’informatique est l’un des moteurs – est censée être la voie d’avenir pour nombre d’influenceurs proches du pouvoir, au premier rang desquels Jacques Attali.
La recherche informatique : jugée clé elle peine à s’organiser
Dans la recherche IT également, l’année aura été compliquée. Au cœur de la réforme début juin côté sciences de l’information, la prééminence de l’Inria – redoutée par les syndicats du CNRS qui regardent d’un œil suspicieux un organisme qui pratique fortement l’ouverture au privé et privilègie la recherche appliquée – a finalement disparu du projet proposé par la ministre Valérie Pécresse. L’Inria (Institut national de recherche en informatique et automatique) ne co-pilotera donc pas la recherche informatique française qui restera scindée en deux : un bloc autour de l’Institut et un autre au sein du CNRS.
Reste qu’un renforcement des sciences de l’information au sein du nouveau plan stratégique du CNRS, validé ce 1er juillet, est à prévoir. Trois pôles d’intégration interdisciplinaires seront créés dont celui de la « société en réseau » (cognition et cerveau, communication, STIC, calcul de haute performance, très grandes bases de données) avec la possibilité de créer ensuite des Instituts plus opérationnels. Si l’un d’entre eux devait être consacré aux systèmes d’information, sa structuration ressemblerait alors beaucoup à celle de l’Inria…
Sur le fond, Valérie Pécresse a présenté en août en conseil des ministres une note sur la "stratégie nationale de recherche et d'innovation". Il s’agit de définir les priorités de la recherche - désormais réorganisée – à l’horizon 2012. La ministre prévoit une concertation organisée dans un premier temps autour d’un petit comité rassemblant une dizaine de personnalités. A charge pour lui de travailler sur ce qui a été défini comme « grands défis » de la recherche française aux niveaux sociétal, scientifique, organisationnel et technologique. Avec une part importante accordée aux technologies de l’information. Il était temps. Car, en France et en Europe, la recherche sur ces sujets est en retard. Si la R&D européenne gagne du terrain sur sa rivale américaine, selon le tableau de bord annuel réalisé par la Commission européenne, le Vieux continent boude clairement les technologies de l’information pour se consacrer à des industries plus établies comme la pharmacie ou l’automobile.
Les risques de dérive de la loi « Création et Internet »
L’année du gouvernement ne fut enfin pas davantage une réussite en matière de régulation, avec le vote d’une loi « création et Internet » particulièrement décriée. En mettant en avant un dispositif particulièrement coercitif – à l'inverse des tendances préconisées ailleurs en Europe –, elle tend à criminaliser certaines pratiques sans régler le problème de fond et prendre la mesure des usages liés aux nouvelles technologies. Au final, la loi risque de faire planer une nouvelle épée de Damoclès au-dessus des entreprises, des administrations, mais aussi des fournisseurs d’accès à Internet. Sans compter les problèmes liés au fichage et aux libertés individuelles également mis en avant lors de la polémique autour d’Edvige, le fichier des renseignements généraux, dossier sur lequel le gouvernement a finalement du baisser pavillon après une levée de boucliers massive.
Toute une année de politique publique concernant le secteur en une trentaine d'articles publiés sur LeMagIT :
- Mars
En ouverture du CeBIT 2008, Sarkozy et Merkel esquivent les questions technologiques
Remaniement : la montagne accouche d'une souris numérique
- Avril
Internet : Eric Besson cristallise de grandes attentes
Quatrième licence 3G : un tour de passe-passe qui profite à Bouygues
- Mai
Assises du numérique : Eric Besson promet beaucoup, sans délais ni moyens
Assises du numérique : le plan qui risque de faire pschitt
Réforme du CNRS : l'informatique copilotée avec l'Inria
CNRS / Inria : les syndicats craignent l’affaiblissement de la recherche informatique fondamentale
- Juin
Assises du numérique : les internautes boudent la consultation
Les dangers du projet de loi « Création et Internet »
Santé : Roselyne Bachelot tente de ranimer le DMP
Assises du numérique : 18 propositions de lobbyistes pour connecter les TPE
- Juillet
Réforme du CNRS : rejet du copilotage de l’Inria sur la recherche en IT
Paquet télécoms : tentatives de main basse sur le net en Europe
Assises du numérique : 29 propositions venues d'Amérique
- Août
L'Afdel au gouvernement : « pas d'argent, mais un environnement favorable »
Les TIC estampillées grand défi de la recherche par Valérie Pécresse
- Septembre
L’Afdel rend publique ses propositions pour le plan numérique 2012
Edvige accouche de triplés
- Octobre
4ème licence 3G : le gouvernement décide de ne rien décider
France numérique 2012 : un plan centré sur le consommateur
Jean Mounet, Syntec Informatique : «France Numérique 2012 est très pauvre pour le logiciel»
Plan numérique 2012 : l’April dénonce l’absence possible du logiciel libre
Hôpital 2012 : les grands travaux informatiques sont lancés
R&D : Les investissements européens progressent… sans les TIC
- Novembre
Syntec Informatique appelle à une politique industrielle du logiciel européen
La loi Création et Internet s’attire les foudres de la CNIL
- Décembre
Fibre Optique : Besson veut arbitrer la guerre entre Free et France Télécom
Plan de relance : Nicolas Sarkozy évoque le numérique sans s’y attarder
Plan de relance : les TPE de l'informatique s’en satisfont, mais demeurent inquiètes