Manifestation : l'incompréhension grandit entre les cadres et les dirigeants de l'IT
"A nous la crise, à eux les profits, ça suffit". Avec ce slogan, les salariés de grands noms de l'IT - IBM, HP, Bull, Sun - se sont regroupés pour désigner ceux qu'ils perçoivent comme "des opportunistes" n'ayant pas tiré les conséquences de la crise : leurs dirigeants.
Daniel Chaffraix, le président d'IBM France, s'était ému de voir des salariés d'IBM battre le pavé parisien aux côtés de ceux de HP (et EDS) - le grand rival de Big Blue - lors de la manifestation du 29 janvier. Cette fois, les salariés des deux géants ont été rejoints par ceux de Sun, Bull et Ilog ; de quoi susciter un peu plus l'ire du dirigeant. D'autant que la banderole commune, derrière laquelle se massait 400 à 500 personnes sur les marches de l'opéra Bastille, affichait clairement la couleur : "à nous la crise, à eux les profits, ça suffit". "Eux" désignant clairement les dirigeants des entreprises, accusés par les syndicats de doper leurs revenus en période faste et de ne pas consentir d'effort particulier en période de crise, les réservant aux salariés.
"La bonne équation, c'est de mesurer le rapport entre la rémunération totale des salariés et celle des dirigeants. Les premiers, ceux qui produisent la valeur ajoutée de l'entreprise, voient leur part diminuer", explique un délégué syndical CFE-CGC d'IBM, qui parle de mépris des dirigeants pour les salariés. Chez Bull, un délégué de la même confédération parle de relations sociales inexistantes dans l'entreprise depuis trois ou quatre ans, et accuse le direction de piloter l'entreprise "par des oukases".
HP : les comptes de la CFTC
Chez HP, c'est évidemment la question des baisses de salaires qui hérisse les salariés et syndicalistes croisés place de la Bastille, la mesure ayant été présentée hier au CE par la direction. "C'est une mesure définitive de baisse des salaires (2,5% pour les non cadres et 5% pour les cadres, à compter d'octobre, ndlr). Sans engagement sur le maintien de l'emploi et sur un rattrapage lors du retour à meilleure fortune. C'est une mesure opportuniste d'une direction exploitant la crise", explique un délégué de CFE-CGC.
Dans un communiqué, la CFTC dénonce l'injustice de la répartition des revenus dans l'entreprise, et des efforts consentis par les uns ou les autres : "les 20% de réduction « apparente » du salaire de Mark Hurd (Pdg de HP, ndlr) ne représentent en fait que 0,7% de réduction de ses revenus 2008 (en intégrant les bonus, ndlr). En France, dans le bilan social 2008 d'HP France, nous constatons que si les dix salaires les plus bas ont augmenté de 2,6%, ceux des dix managers les plus hauts ont augmenté de 27%, soit dix fois plus relativement ! ".
Baisse de salaires : le risque d'un effet boule de neige
Pour Jean-Paul Vouiller, délégué syndical central CFTC de HP, "plus les gens réalisent l'indécence des propositions de la direction, plus le front du refus gagne du terrain". Sur son blog, le syndicat a mis en ligne un sondage sur la question qui a recueilli quelque 1 000 réponses : 92 % d'entre elles vont dans le sens d'un refus des baisses de salaires proposées. Dans les années 90, chez IBM, 95 % des salariés avaient adhéré à une mesure de baisse des salaires de 7,5 % alors que l'entreprise traversait de graves difficultés. Un virage à 180° qui témoigne de la méfiance grandissante des cadres envers les directions générales.
Surtout, les salariés des constructeurs redoutent l'effet d'entraînement que pourraient avoir des mesures décidées chez des ténors comme HP ou IBM. "Des informations sont sorties dans la presse faisant état de baisses de salaire chez nous", raconte un délégué CFE-CGC d'IBM. "Ce n'est pas le cas. J'exhorte le direction d'IBM France à donner des informations chiffrées montrant la réalité des salaires dans la filiale". Pour l'instant, la chasse aux coûts chez le géant vise plutôt les dépenses courantes ou celles concernant la formation.
SSII : la lente montée de l'intercontrat
Dans les SSII et les sociétés de conseil en technologies, c'est le maintien de l'emploi qui inquiète le plus. Après les vagues d'arrêt de contrat dans l'automobile - poussant certaines sociétés de conseil en technologies à recourir au chômage partiel -, CFDT et CGT craignent une extension aux SSII. "L'intercontrat monte lentement, explique Ivan Béraud, le secrétaire national de la F3C (Fédération Communication, Conseil, Culture) CFDT, citant le cas d'Atos Infogérance et de certaines agences régionales de Capgemini ou Logica. Et les directions ne voient pas où elles vont".
Contrairement à la crise précédente (les années 2002 à 2004), les SSII n'ont pas accéléré les licenciements individuels, "car les salariés ont compris que c'était une crise structurelle et s'accrochent à leur poste", explique le syndicaliste. Ivan Béraud dit redouter des faillites chez les SSII qui se sont lourdement endettées pour financer leur croissance externe.
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Les images de la manifestation parisienne
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