Avec Sun, Oracle change encore de dimension
Leader sur les bases de données, co-leader sur le middleware Java, numéro 2 sur les PGI… et désormais 4ème constructeur mondial de serveurs, particulièrement présent sur les grands systèmes. En rachetant Sun pour 7,4 Md$, Oracle joue sur tous les fronts et démontre une fois de plus sa capacité à pratiquer la croissance externe. La crise permet une opération relativement bon marché, mais pose aussi nombre de questions sur les capacités de l’éditeur à s’étendre vers la construction tout en maintenant en place les communautés de développeurs visées.
Finalement, c'est Oracle qui a remporté la mise pour 7,4 milliards de dollars. Avec Sun, ce n’est pas la première fois que l’éditeur créé et dirigé par le sémillant Larry Ellison utilise une stratégie de hussard très opportuniste. Déjà, en 2003, il avait conduit avec succès un raid sur l’éditeur de PGI Peoplesoft qui venait lui-même de s’emparer de JD Edwards. Depuis lors, Oracle est devenu un spécialiste de la croissance externe d’autant plus performant que l’intégration des groupes rachetés est plutôt réussie là où nombre d’analystes émettait des doutes.
Selon Pierre Audoin Conseils, entre 2003 et 2008, l’éditeur a procédé à des rachats pour plus de 28 milliards d’euros soit le double de son poursuivant immédiat sur la même période, IBM, également en course pour racheter Sun jusqu’à il y a peu de temps. Oracle – historiquement centré sur les bases de données – fait désormais figure de groupe extrêmement complet et prend même pied dans les serveurs et les OS en récupérant des actifs d'un Sun plutôt mal en point sur ces segments mais qu’il essaiera sans doute de valoriser, fort de sa base installée.
Le numéro 4 mondial des serveurs - mal en point - s’appelle désormais Oracle
Sur ce dernier point, Oracle ne cache pas ses velléités. En proposant une plate-forme complète serveur+OS+SGBD+ERP, l’éditeur se fait fort de proposer un système d’entreprise clé en main. Et même si les tarifs de maintenance du groupe sont élevés, une telle configuration permettrait sûrement la mise en place d’une offre très compétitive, notamment en éliminant les frais d’intégration. Dans un document d’explication stratégique à destination de ses clients, Oracle explique ainsi « prévoir de développer un système intégré complet – des applications aux disques – où tous les éléments seront optimisés pour fonctionner ensemble, de telle sorte que les utilisateurs n’auront pas à s’en charger eux-mêmes. Les coûts en matière de ressources allouées et d’intégration système baisseront pour les clients tandis que, dans le même temps, les performances, la fiabilité et la sécurité augmenteront ». De plus, Oracle affirme déjà être particulièrement intégré à Solaris, l’Unix dont il hérite avec Sun. L’acquéreur rappelle ainsi que son middleware Fusion est basé sur Java et que Solaris se distingue comme « plate-forme leader pour les bases de données Oracle. »
Reste qu’avant l’arrivée de cette offre intégrée, dans les faits, Oracle devient le quatrième constructeur mondial de serveurs, avec une présence particulièrement forte sur l'entrée/milieu de gamme Unix et sur les grands systèmes, mais sur un marché touché de plein fouet par la crise. Malgré un net recul, les ventes de machines de Sun ont tout de même généré un chiffre d’affaires de 1,256 milliards de dollars (-14,9%) au quatrième trimestre 2008 sur un marché en fort recul selon Gartner. Il faudra cependant que les équipes d’Oracle prennent très vite la mesure d’un marché nouveau pour elles et en pleine restructuration. IBM est un leader solide quoique marqué par la crise; et HP résiste bien. Sans compter l’arrivée tonitruante d’un nouvel acteur : Cisco, autre parangon de l’intégration mais cette fois par le réseau plutôt que par le système lui-même.
SGBD : avis de domination sans partage sur le monde Linux
Si la partie s’annonce difficile sur les serveurs avec un héritage lourd à gérer et une relative inexpérience en dépit d’atouts sur la plate-forme, elle devrait être plus aisée sur les bases de données. Il s’agit là du cœur de métier historique d’Oracle, qui domine outrageusement le secteur. En août dernier, nous expliquions que, selon les chiffres publiés par Gartner sur le marché mondial des bases de données, Oracle continuait sa domination outrageante, notamment sur le marché mondial des SGBDR. Au cours de l'année 2007, Oracle s’est adjugé 42,26 % des revenus des ventes de bases de données - un marché qui pèse 19,61 Md$ - contre 23,57% pour son principal rival, IBM. L'avance de la firme de Larry Ellison serait encore plus grande sur le marché des bases de données relationnelles (17,07 Md$). Oracle contrôlerait ainsi 48,6% du marché des SGBDR, avec près de 28 points d'avance sur son second.
Surtout, du côté des plates-formes, la domination d'Oracle sur le marché des SGBDR sous Linux (en termes de revenus) est très importante. Le numéro un mondial s'accapare ainsi 79% des revenus générés par les ventes de SGBD sur l'OS libre, loin devant l'emblématique MySQL… qui fait parti du portefeuille acquis par l’entremise de Sun. Si MySQL génère peu de revenus (environ 70 M$ de CA en 2007 selon Gartner), son nombre de déploiements est toutefois bien supérieur à celui d'Oracle et il occupe une position centrale dans le monde de l’open source et des applications web. MySQL peut aussi compter sur une communauté forte et dynamique jusqu’en France qui a inauguré sa propre communauté à l’automne dernier. C’est cette communauté qu’Oracle devra maintenir et surtout ne pas faire fuir. Déjà, Sun s’escrimait à animer ces milliers de développeurs qui craignaient de voir la plate-forme quitter sinon le giron du moins l’esprit Open source. Depuis quelques mois, les huiles de MySQL ont quitté le navire et Sun tentait de maintenir la flamme de la communauté. Un rôle qu’Oracle ne devra pas sous-estimer s’il veut en tirer profit et aller piétiner les plates bandes de Microsoft sur les bases de données pour PME. Selon les informations fournis par Oracle, « MySQL sera ajouté aux diférents produits de bases de données du groupe, qui comprennent déjà 11g, TimesTen, la base open-source BerkeleyDB, et le moteur transactionnel open-source InnoDB ».
Java : Oracle est déjà l’un des géants du middleware J2EE
Concernant Java, l’arrivée d’Oracle pourrait être plus difficile à gérer. L’éditeur est d’ores et déjà l’un des leaders du middleware J2EE après avoir finalisé l’an passé l’acquisition de BEA, éditeur historique du segment qui en détient un gros tiers, à égalité avec IBM. Weblogic – nom du produit d’Oracle BEA – a été particulièrement soigné comme la roadmap publiée l’été dernier par l’éditeur le montre. Du coup, les propres serveurs d’applications développés par Sun pourraient faire les frais du rapprochement, même si Glassfish avait reçu en son temps le soutien de l’éditeur de base de données. Récemment, Sun avait réaffirmé ses envies d’en découdre sur le marché du middleware en visant en priorité Jboss, loin derrière les deux monstres IBM et Oracle/BEA.
Il faudra donc observer de près la réaction d’IBM, engagé dans l’animation de la communauté des développeur Java et qui pourrait bien vouloir en récupérer une partie en agitant devant les développeurs le chiffon rouge que pourrait représenter une reprise en main des communautés par un Oracle, réputé pour des approches plutôt fermées.