Alexa Guenoun, Temenos : "c'est Viveo qui est venu nous chercher"
Mis en cause pour ses décisions brutales suite au rachat de l'éditeur français - arrêt de la gamme progicielle Vbank, plan social - le Suisse Temenos justifie ses choix par la voix de la directrice qu'il a placée à la tête du groupe hexagonal. Des choix dictés, selon Temenos, par la situation économique de Viveo, pas si florissante que cela. Au point que son actionnaire principal cherchait à s'en défaire faute de rentabilité suffisante.
En reprenant son concurrent sur le marché français, le spécialiste des progiciels bancaires Viveo, l'éditeur suisse Temenos s'est heurté à une forte opposition des salariés de la société française. Rapport économique du comité d'entreprise dénonçant un rachat visant à détruire un concurrent, rapport sur les conditions de travail parlant d'un "état des lieux alarmant", référé contre le plan social (63 postes) décidé par le groupe suisse : en quelques mois, Temenos s'est attiré une volée de bois vert.
Pour Alexa Guenoun, qui fait partie des dirigeants opérationnels de l'éditeur suisse et qui a pris la direction générale du groupe Viveo, ces difficultés résultent largement du changement de culture amené par le groupe suisse et du manque d'informations dont disposaient les salariés sur la situation réelle de Viveo. Un Viveo que son actionnaire principal, les éditions Lefebvre, cherchait à vendre, selon Alexa Guenoun.
LeMagIT : Dans un récent communiqué, vous écrivez : "Il est rapidement apparu après le rachat de l’éditeur français que la viabilité de l’entreprise était conditionnée par une réorganisation de ses activités, par une intensification du développement offshore [...] et par une réduction des effectifs de 63 postes au sein de Viveo France". Pourtant vous n'avez pas découvert cette situation en prenant les rênes de l'entreprise ?
Alexa Guenoun : Effectivement, nous connaissions cette situation via l'audit des comptes de Viveo préalable à son acquisition. Mais ce sont les employés de la société qui n'avaient pas une idée précise de la situation réelle de leur entreprise. En 2009, sur l'ensemble du groupe Viveo, le bénéfice a été inférieur à 400 000 € et Viveo France seul a terminé l'année sur un déficit. Les ratios de profitabilité de Viveo n'ont rien à voir avec les standards du marché de l'édition. Viveo était une société gérée de façon très paternaliste. Ainsi, chaque année, une quarantaine de salariés recevaient systématiquement leur variable, car le versement de ce dernier n'était pas lié à l'atteinte d'un objectif.
LeMagIT : La communication autour de la restructuration a tout de même été surprenante. Début janvier, vous délivrez un message rassurant aux salariés et, quelques jours plus tard, annoncez la mise en œuvre d'un plan social. Pourquoi ce pas de deux ?
A.G. : Début janvier, nous avons expliqué que la phase d'intégration entre les deux sociétés prendrait 18 mois. Cela ne signifiait pas que nous resterions inactifs durant cette période. Nous ne pouvions alors pas dire que nous ferions un plan social.
LeMagIT : Le rapport commandé par le Comité d'entreprise présente ce rachat comme une volonté de Temenos de détruire un concurrent. Comment réagissez-vous ?
A.G. : Mais ce n'est pas un rachat agressif ! Temenos a été approché par un acteur spécialisé, représentant les éditions Lefebvre (alors actionnaire principal de Viveo, NDLR), qui souhaitait se défaire de cet investissement peu rentable. Les dirigeants-fondateurs n'étaient pas au courant de cette démarche de leur actionnaire de référence. Pour eux, c'est clairement un désaveu. Dans ce contexte, auquel s'ajoute le changement de mode de gestion, on comprend que les ex-dirigeants de Viveo aient souhaité partir rapidement, alors qu'ils auraient pu nous accompagner pendant une période de six mois.
LeMagIT : Comment expliquez-vous le manque de profitabilité de Viveo ?
A.G. : En 2009, les réformes réglementaires dans la banque ont pourtant largement profité à l'entreprise. Mais sur les activités de cœur de métier dans la banque, Viveo a signé des contrats déficitaires. Travaillant dans l'édition logicielle depuis 1997, j'ai été surprise des conditions financières accordées aux clients sur certains contrats.
Sans inflexion majeure, dans deux ans, Viveo ira au tapis. Récemment, ce dernier a perdu des contrats majeurs face à Temenos, notamment à la CDC et pour BforBank (filiale du Crédit Agricole, NDLR). Ce sont de gros revers pour Viveo. Avant ce rachat, Temenos prenait des parts de marché à Viveo année après année.
LeMagIT : Votre décision de geler les développements de Vbank - la ligne de produits de Video - pour la remplacer par la gamme T24 de Temenos est apparue assez brutale...
A.G. : C'est un modus operandi assez standard dans l'industrie, où il est courant de passer un produit appelé à ne plus évoluer en mode maintenance pendant 3 à 5 ans. Nous garantissons 5 ans de maintenance aux clients de Vbank. Temenos est une entreprise de culture anglo-saxonne qui a tendance à dire les choses d'emblée. Même si nous avons peut-être été frileux dans notre communication avec les clients, je pense que la plupart d'entre eux ont compris notre stratégie. Même si cela vient parfois perturber leurs plans. Ils nous posent des questions légitimes sur la réactivité du support sur Vbank. Pour répondre à cette attente, nous allons organiser la montée en compétences du centre de services en Roumanie, ouvert par les dirigeants de Viveo avant le rachat par Temenos.
LeMagIT : Le plan social (ou PSE, pour plan de sauvegarde de l'emploi) est suspendu à une décision de justice attendue pour demain (le 16 septembre)...
A.G. : J'attends le référé et je mettrai en œuvre la décision prise. Je constate seulement que les volontaires au départ qui se sont déclarés - 58 au total - ne peuvent pour l'instant partir, en raison de ces procédures, ce qui crée des tensions. Un des employés de Viveo, volontaire au départ, a ainsi saisi les Prud'hommes pour obtenir la mise en œuvre de ce volet du PSE. Et a été débouté, car le PSE est attaqué en référé. En juillet, la direction de Temenos avait fait un geste en mettant une enveloppe supplémentaire d'un million d'euros sur la table. Nous demandions en échange l'arrêt des procédures.
LeMagIT : Un autre rapport, commandé par le CHSCT cette fois au cabinet Apteis, tire la sonnette d'alarme quant aux conditions de travail chez Viveo et parle d'un "état des lieux alarmant" concernant la santé des salariés. Qu'en pensez-vous ?
A.G. : Très clairement, ce rapport montre qu'il existe un malaise dans la société. Nous allons probablement lancer une mission de mesure du stress chez nos salariés. Mais il n'en reste pas moins que ce rapport du cabinet Apteis est avant tout un rapport à charge. Et je remarque qu'il recommande de clôturer le volontariat et de publier un organigramme. Ce qui reviendrait à dire que le PSE a été mis en œuvre. Bref, Apteis recommande de passer à autre chose. Et, franchement, j'aimerais bien.
En complément :
- Restructuration de Viveo : la direction de Temenos contrainte de sortir du bois