Couverture mobile : l'Arcep ne sanctionnera pas SFR pour ses manquements

Dans un communiqué rendu public ce vendredi soir, l'Autorité de régulation des Communications électroniques et postales indique son intention de ne pas sanctionner SFR dans le cadre du manquement à ses obligations de licence en matière de couverture 3G. L'Autorité confirme ainsi son absence...d'autorité et entérine l'impunité des opérateurs mobiles en matière de couverture. Une décision qui avalise implicitement le fossé entre urbains et ruraux.

Décidément toujours aussi généreuse envers les opérateurs mobiles, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), dans la continuité de ses précédentes décisions, a choisi de ne pas poursuivre SFR pour ses manquements à ses obligations de couvertures, obligations figurant pourtant en noir et blanc dans la licence de l’opérateur. Il est vrai qu'en décembre 2009, l'autorité avait déjà baissé les armes en mettant en demeure Orange et SFR de respecter un calendrier révisé bien inférieur à celui que leur imposait leurs licences. D'une certaine façon, cela revient à s'assoir sur l'esprit du droit - même si en l'espèce l'Arcep l'a respecté à la lettre en passant par une étape de mise en demeure accompagnée d'obligations de se conformer à des étapes intermédiaires (Article L36-11 du Code des postes de des communications électroniques).

Le problème est qu'alors que la loi prévoit un minimum d'un mois pour que l'opérateur respecte les termes de la mise en demeure, les errements de l'Arcep ont, dans les faits, permis à SFR de gagner près d'un an. Et c'est bien là, que l'esprit de la loi est baffoué. Pourtant, l'Arcep dispose de moyen de sanction qui auraient de quoi faire trembler les opérateurs. Pour ce qui est de la couverture notamment, les textes prévoient "une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, apprécié notamment au regard du nombre d'habitants ou de kilomètres carrés non couverts ou de sites non ouverts, sans pouvoir excéder un plafond fixé à 65 euros par habitant non couvert ou 1 500 euros par kilomètre carré non couvert ou 40 000 euros par site non ouvert". Autant dire que pour SFR et Orange, les manquements à la couverture auraient pu (dû) coûter cher...

Un blanc-seing aux opérateurs en dépit des violations de leurs obligations

L'Arcep avoue implicitement sa faiblesse en constatant que SFR aurait dû selon les termes de sa licence couvrir 99,3% de la population française au 21 août 2009, soit il y a près d'un an. L'opérateur mobile en est loin : au 31 juin 2010 il ne desservait qu'environ 84% de la population française en 3G et ce, sous la pression du fameux calendrier révisé par l'Arcep en décembre 2009, qui enjoignait justement SFR d'atteindre 84% à cette date. Quant à Orange, son sort sera fixé en décembre. A cet date l'opérateur devra couvrir 91% de la population, soit ironiquement plus que SFR, qui avait pourtant fait de ses engagements de meilleure couverture l'un de ses chevaux de bataille lors de l'attribution des licences.

L'Arcep peut se féliciter du respect de sa méthode et mettre en avant le contrôle désormais en place des engagements de couverture. Mais dans la pratique, il n'y a pas de quoi crier victoire. Car avec 15% de retard sur ses engagements (et avec un an de retard), SFR est loin, mais alors bien loin de ses obligations d'origine. Ce sont en effet les derniers 15% de couverture de la population qui sont les plus difficiles à obtenir techniquement et qui , comme par hasard, ont le retour sur investissement le plus faible. Car pour aller chercher les derniers pour-cent de la population française, il faut couvrir de larges zones géographiques à faible densité de population (alors qu'à l'inverse, il est facile au début de couvrir rapidement les premiers 40% de la population. Par exemple en Midi-Pyrénées, les opérateurs peuvent desservir 40% des habitants en ne couvrant que 3% de la surface du territoire. Mais aller chercher les derniers 10% nécessite de planter ses antennes dans une multitudes de vallons, montagnes et petits villages. Il en va de même dans le Massif central et sur ses contreforts ou dans les Alpes, et plus généralement dans toutes les zones à faible densité de population.


Compromis(sions)
Les compromis(sions) de L'Arcep ont plusieurs conséquences notables. La première est qu'en tolérant les retards des opérateurs, l'autorité leur permet de limiter leurs dépenses en capital (l’investissement dans le déploiement de nouveaux sites radio) et donc d'améliorer leurs profits à court terme. Cette tolérance peut sans doute satisfaire les illuminés anti-ondes se réclamant de la forêt de Sherwood, mais a un effet fâcheux sur l’activité des équipementiers et des sous-traitants du secteur, donc sur l’emploi.

Un autre effet fâcheux est que l'attitude de l'Arcep accroit le fossé numérique entre villes et campagnes. Car en concédant aux opérateurs la possibilité de violer impunément leur licence (ce que font en pratique les deux grands opérateurs mobiles depuis plusieurs années), l'Arcep avalise de facto l'inégalité entre urbains et ruraux face à la couverture mobile. Elle n’en est pas à son coup d'essai, sa générosité dans les dossiers de la BLR et du WiMax ayant déjà laissé sans voix de nombreux observateurs.

Il en va de même de sa récente analyse des risques pour la concurrence de la montée en débit de la boucle locale en cuivre de France Télécom (habilement transmise au conseil de la concurrence), qui dans la pratique, repousse aux calendes grecques l'arrivée de meilleurs débits Internet dans les zones non dégroupées à très faibles débits. Cette analyse préconise en effet grosso-modo de privilégier le déploiement de la fibre optique, un choix qui fait que nombres de petites communes ne verront sans doute pas de vrai haut débit fixe avant 10 ans ou 15 ans... Et pourtant, le cadre juridique dans lequel opère l'Arcep prévoit  que "la préoccupation de l’aménagement du territoire doit être présente dans les décisions du régulateur, par exemple pour favoriser la couverture mobile et pour étendre le haut débit dans les zones peu denses".


Affaiblissement de l'autorité de l'Etat
Notons que les passe-droits accordés par l'Arcep aux opérateurs ont aussi la désagréable conséquence de saper sa propre autorité (ou ce qu'il en reste) face aux autres opérateurs. Bouygues et Free, auront ainsi beau jeu, si jamais ils sont en retard dans leurs propres déploiements de pointer du doigt les faveurs faites précédemment à Orange et SFR.

En fait, au travers des décisions récentes de l'Arcep, c'est tout le problème de la multiplication des autorités indépendantes qui est posé. Par leur faiblesse générale, leur manque de moyens et leur répugnance à appliquer de réelle sanctions (les exemples de l'Arcep et de l'ART sont à cet égard révélateurs), elles sapent au final l'autorité de l'Etat et nuisent aux intérêts du citoyen.

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