Open Source : le difficile pari de la contribution
Poumons de l’Open Source, les contributions se retrouvent aujourd’hui au centre d’un modèle en pleine mutation, du fait notamment de la poussée des entreprises. Projets en progression, mais contributions à la baisse, l’occasion pour LeMagIT de cartographier l’état des contributions et de leur mise en place dans les organisations.
Au royaume de l’Open Source, la contribution est reine. Cet adage rappelle que le modèle Open Source, aujourd’hui en progression dans les entreprises, repose avant tout sur un concept : celui du développement communautaire, qui permet notamment de faire grossir un projet logiciel en agglomérant une somme de programmes et de bouts de code issus de contributions tierces.
Seulement voilà, si aujourd’hui la foire Open Source semble battre son plein, les contributions sont plutôt reléguées au second plan. Cette tendance, la fondation Eclipse l’avait une première fois pointé du doigt lors de son recensement annuel (Eclipse Community Survey 2010). En se basant - il est vrai - sur sa seule communauté de développeurs, la fondation Open Source avait exposé au grand jour une diminution des contributions dans sa communauté, alors même que le nombre de projets allait grandissant... Selon les chiffres publiés, seulement 35,4 % des développeurs utilisant les outils de la fondation étaient autorisés par leur entreprise à reverser leurs travaux. Ils étaient 48% en 2009, constatait Eclipse. Accenture identifiait le même phénomène dans un de ses rapports publié en août. Sur un panel de 300 entreprises américaines, britanniques et irlandaises, 29% seulement souhaitaient partager le fruit de leur développement, bien que toutes soient adeptes de l’Open Source.
Question : ce phénomène touche-t-il la France, symbole mondial de l’adoption Open Source ? Réponses en demi teinte recueillies lors de l’Open World Forum, dans le cadre du DSI Summit (qui s’est achevé le 1er octobre). Si les DSI français semblent confirmer unanimement que les logiciels Open Source ont intégré systématiquement les veilles technologiques, peu, en revanche, ont mis en place des mesures encadrant les contributions et le développement interne proprement dit. Un point que nous confirmait le DSI d’une grand banque, qui a souhaité rester anonyme : "on constate que les grandes entreprises sont davantage dans une phase d’éveil vis à vis des nouvelles technologies que dans une phase de maturité ou d’utilisation. Même si elles sont utilisées à certains endroits, dans les couches d’infra et assez peu dans les couches d’usages visibles. Le rôle interne des développeurs dans les communautés n’est que personnel et n’est pas institutionnalisé. Ce qui est souvent encouragé par l’entreprise, mais pas organisée ni contrôlé. Il n’existe pas rééllement de division au sein des organisations qui s’occupe de manière structurée de l’Open Source".
Plus pragmatique, le DSI d'un groupe français spécialisé dans l’édition, nous expliquait, également sous le couvert d’anonymat, que "les usages étant généralement standard, l’entreprise n’a pas vocation à contribuer" tout en y voyant un intérêt dans le monde de l’ERP, "très lié au développement spécifique". "La contribution permet dans ce cas d’en faire bénéficier les autres, mais surtout d’en re-bénéficier soi-même." Et d’ajouter que "les contributions mettent en valeur le travail des collaborateurs et de leurs équipes de développeurs. Cela peut redynamiser une équipe un peu essoufflée."
Seul le secteur public, qui rappelons-le constitue le moteur principal de l’adoption de l’Open Source en France, semble avoir établi des politiques de contributions. Jean-Sévérin Lair, DSI du ministère de la Culture et de la Communication explique : "nous sommes utilisateurs et nous disposons de souches que l’on fait évoluer parfois. Notre pire crainte est de créer du spécifique autour de ce que l’on va devoir maintenir.[...] Notre action systématique est de formaliser contractuellement avec notre prestataire l’obligation d’être en lien avec la communauté et de faire ses meilleurs efforts pour que les modifications soient prises en compte dans les souches d’origine.[…]. Ceci dit on est beaucoup plus utilisateur que contributeur car nos besoins sont généralement standards. Les cas de contributions sont assez rares car les produits ont atteint une maturité qui nous suffit". Pas ou peu de contributions, certes, mais une politique clairement définie en la matière. "Dans nos appels d’offres, les capacités des prestataires à connaitre de la communauté et à reverser sont prises en compte", poursuit-il.
La contribution : un mécanisme complexe
Côté management du SI on est donc plutôt croyant mais peu pratiquant. Reste que si les entreprises n’abordent pas forcément le développement Open Source par le truchement de la contribution, c’est aussi parce que le phénomène repose sur un dispositif complexe et difficile à implémenter dans une logique d’entreprise. C’est un point que développe Boris Auché, spécialiste de la question Open Source chez Bull Services France, pour qui contribuer nécessite d’attribuer des ressources, coûteuses, à un projet. "Dans le cas d’une société de services, explique-t-il, il est très compliqué d’instaurer une partie liée à la contribution. Car contribuer n’est pas simple et coûte cher. […] il faut intégrer les temps de développement dans un produit, ou encore prévoir que le contributeur développe pendant ses phases d’intercontrats. Et les meilleurs en ont rarement, ils sont attribués à nombre de projets. Il faut donc le détacher, lui laisser du temps pour documenter le programme, et mettre en place une stratégie de projet. Cela nécessite des ressources pour d'encadrement et réfléchir à la structure (quelle licence, quelle stratégie pour le produit ,dans quel projet) . De fait quand une tâche est aussi compliquée, on est légitimement moins poussé à la réaliser". Et de souligner que dans les faits les contributions sont généralement le fruit d’ingénieurs, "des passionnés, qui contribuent pendant leur WE, leur soirée, à l’occasion de leur inter-contrat".
A modèles différents, contributions différentes
Contribuer est d'autant plus complexe que tous les projets Open Source ont des conceptions et des attentes différentes. C'est d'ailleurs le point clé des tendances identifiées par Eclipse et Accenture - la baisse de contributions malgré l’augmentation des projets Open Source - : les projets ne souhaitent pas forcément recevoir des contributions massives. C’est ce que souligne Hubert Tournier, adjoint à la Direction de l'Organisation et des Systèmes d'Information du Groupement des Mousquetaires, pour qui il existe "beaucoup de mythes" autour de la contribution dans l’Open Source. Selon lui, les communautés et les projets associés, n&rs quo;ont pas tous les mêmes besoins. Surtout, la contribution peut prendre une autre forme que la simple reversion de code. "Certaines communautés ont des taux très marginaux de contributions, mais beaucoup d’utilisateurs", souligne-t-il en faisant référence aux projet communautaires traditionnels. Comme FreeBSD par exemple, dont il est l’un des contributeurs. "Ces communautés n’ont pas forcément de besoin en code source car tous les développeurs n’ont pas le niveau requis pour contribuer", explique-t-il, tout en rappelant que dans ce cas, la réputation du développeur joue énormément, notamment dans les phases de contrôle du code. "Le plus utile, c’est le mécénat, de l‘argent pour notamment payer l’infrastructure, ainsi que de la reconnaissance". Et de citer Free qui héberge un grand nombre de projet Open Source et embauche des développeurs Open Source clés - en dépit de ses petits déboires juridiques avec des associations du Libre au sujet de la mise à disposition du code source des logiciels des FreeBox.
Mais aujourd’hui, poursuit-il "les communautés sont possédées par les sociétés à vocation commerciale, dont la plus importante contribution est d’aller chercher du service chez eux". Quant aux autres, sur le modèle Red Hat par exemple, “ils s’inscrivent dans une logique d’éditeur traditionnel où la contribution est en fait un dialogue entre l’éditeur et vous et est souvent liés à sa propre volonté. Surtout si l'une des contributions vient empiéter sur une des fonctions inclus dans la version commerciale du produit".
Restera à évoquer dans cette cartographie de la contribution, les initiatives volontaristes, comme celle de Google par exemple ou encore de Facebook, qui offrent à leurs employés du temps pour contribuer à certains projets Open Source. En France, Alter Way aurait déjà mis en place cette politique auprès de ces salariés. Un moyen au final de structurer les contributions et de péréniser le modèle de l’Open Source. Aux côtés de communautés de développeurs cadres.