Michel Guez, Smartesting : l’Inde, deux ans après
Deux après l’installation en Inde de Smartesting, une jeune pousse française spécialisée dans le test logiciel, que reste-t-il des ambitions initiales ? Plus grand chose. L’entreprise a dû réorienter totalement sa stratégie. Si cela lui réussit aujourd’hui plutôt bien, une chose est sûre : l’expérience a permis de lever le voile sur d’autres facettes des entreprises indiennes, plutôt troublantes pour des entrepreneurs occidentaux.
Michel Guez est arrivé en Inde début septembre 2008 afin de se rapprocher des SSII indiennes. Nous nous étions alors entretenu avec lui par téléphone pour partager sa toute jeune expérience indienne. Il nous faisait alors part de l’ambition de SmartTesting de s’engouffrer dans le sillage des grandes SSII indiennes pour profiter de leur propre croissance : «70 % des tests outsourcés le sont en Inde,» précisait-il alors. Deux ans plus tard, à l’occasion d’un rendez-vous dans ses bureaux à Bangalore, il revient sur cette expérience... et ses déconvenues.
«Nous sommes venus en Inde avec l’idée de promouvoir notre solution auprès essentiellement des Wipro et Infosys, les grandes SSII indiennes. Aujourd’hui, je dois avoir trois rendez-vous par semestre avec eux.» Un constat d’échec qui s’est traduit concrètement par une réorientation stratégique : «ce n’est plus du tout notre cible. Nous avons dû complètement réviser notre stratégie de pénétration du marché indien. Notre cible principale, désormais, ce sont les centres de recherche et développement des éditeurs de logiciels qui ont justement installé ici une partie de leur R&D... Et il y en a beaucoup; ils sont de plus en plus nombreux.» [Voir à ce propos notre article de novembre 2009 : Et la R&D mondiale avait élu domicile en Inde ?] Et d’ajouter : «nous serions partis d’Inde si nous n’y avions pas trouvé de relais.»
«Le client a dit, il paie, on fait.»
Mais pourquoi n’avoir pas réussi à entrer chez les géants indiens du service informatique ? «Je l’explique par plusieurs choses. La plus importante, c’est que par nature, les SSII font ce que leurs clients leur demandent. Si, en Europe, on a tout de même de grandes SSII qui ont cette capacité à être force de proposition, ce n’est pas le cas des SSII indiennes. Elles vont utiliser notre technologique pour impressionner. Mais, au final, elles feront strictement ce que demande le client, y compris si c’est stupide. C’est là que l’on touche à une dimension culturelle très forte : “on nous demande ça, on le fait. Et si l’on pense que c’est idiot, on ne le dit pas. On pourrait faire beaucoup mieux mais ce n’est pas grave. Le client a dit, il paie, on fait.” Nous ne sommes donc pas parvenus à les convaincre de pousser un peu leurs clients à aller vers une technologie innovante comme la nôtre.»
A quoi donc peuvent bien servir ces cellules de veille ? «A explique au client qu’il y a une recherche d’innovation, de structuration, de professionnalisation, d’industrialisation des processus des outils. Bref, d’avoir un portefeuille d’offres attractif. Mais, au final, derrière la vitrine chatoyante, ce sont des petites mains en nombre.» Alors, les SSII indiennes, pas innovantes ? «Non, je n’irai pas jusque là. Il y a des choses qui percent, qui finissent par imprégner les activités.»
Une hiérarchie écrasante
Mais il y a plus, selon lui. « Le second aspect, c’est l’organisation des SSII. C’est peut-être vrai un peu partout, mais ça l’est plus encore en Inde. Notre point d’entrée, ce sont des entités dont le rôle est de faire de la veille technologique. Mais celles-ci sont dans l’incapacité totale d’imposer quoique ce soit aux équipes de développement. On peut donc avoir des échanges très intéressants avec ces entités sans qu’il se passe quoique ce soit après. Car le chef de projet en charge de la relation contractuelle avec son client bloque; il est impossible de lui imposer quoique ce soit. C’est d’autant plus vrai qu’en Inde, on trouve peu de «champions», au sens décrit dans les méthodes de vente. A savoir celui qui, chez le prospect, va se bat pour vous, qui a une conviction intime que ce que vous lui proposez est ce qu’il faut à sa société. Ce profil là est extrêmement rare en Inde.»
C’est là que Michel Guez souligne la culture indienne du management : «le poids de la hiérarchie est très fort. Un individu dans l’organisation n’a pas l’espace pour faire valoir ce qu’il pense. Et ça ne se fait pas : on ne va pas contre le vent. Je n’ai pas encore vu de gars qui va forcer un peu la main à son patron; qui va le bousculer un peu. En Europe, celui qui a une vraie conviction, il va revenir à la charge, essayer d’autres voies, etc. Diplomatiquement bien sûr. Mais un gars convaincu se bat un peu plus. En Inde, le poids de l’organisation en impose sur les convictions personnelles.» Pour lui, au final, «les employés ont très peu de latitude et de possibilités d’initiative. Donc, ils ne développent pas leur capacité d’initiative.» Du coup, le «processus de décision est assez long.»