Microsoft et les mainframes : les ennemis d'IBM sont aussi mes amis
Le premier éditeur mondial investit dans le petit éditeur TurboHercules, basé en France. Auteur d'un émulateur mainframe, ce dernier est surtout connu pour être à l'origine d'une plainte contre IBM, pour abus de position dominante sur le marché des mainframes. Un activisme anti-Big Blue où Redmond est largement actif. Même s'il agit plutôt en sous-main.
Microsoft vient d'investir dans la société TurboHercules, une petite société basée à Paris et qui commercialise Hercules, un émulateur mainframe Open Source dont les développements ont démarré il y a une dizaine d'années. La somme déboursée par le numéro un du logiciel dans cette société créée en avril 2009 est restée confidentielle. Grosso modo, Hercules s’apparente à une couche d’émulation permettant de faire fonctionner z/OS - l'OS des mainframes IBM - et ses applications sur de simples serveurs x64. Non pour remplacer le serveur de production lui même, mais plutôt pour des besoins auxiliaires (PRA, tests, développement, archivage).
Cet investissement pourrait paraître anecdotique si TurboHercules n'était pas au centre des ennuis que connaît IBM avec la Commission européenne. En mars, la société basée à La Défense a en effet engagé une procédure contre IBM auprès de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne. TurboHercules reproche à IBM de limiter, contractuellement, le fonctionnement de z/OS à ses mainframes, ses demandes visant à obtenir une licence z/OS spécifique autorisant son fonctionnement au-dessus d’Hercules s'étant heurté à un refus de Big Blue. Soit, selon le petit éditeur, un abus de position dominante.
Deux plaignants financés par Microsoft
TurboHercules n'est pas seul dans cette croisade. Un fabricant de compatibles mainframe basé en Floride, T3, a lui aussi déposé une plainte à Bruxelles, expliquant que IBM lie son système d'exploitation à ses propres machines pour éviter toute concurrence. Or, T3 est lui aussi soutenu financièrement par... Microsoft (depuis 2008). Suite à ces plaintes, la Commission européenne a ouvert en juillet dernier deux enquêtes formelles portant sur un abus de position dominante de Big Blue sur le marché des grands systèmes.
De l'autre côté de l'Atlantique, une organisation nommée Computer & Communications Industry Association (CCIA), où on retrouve TurboHercules, T3, Microsoft mais aussi Oracle, RedHat ou Google, a également accusé IBM d'abus de position dominante sur le marché des mainframes, poussant la justice américaine à se replonger dans les pratiques de Big Blue sur ce marché. Une précédente plainte émanant d'un autre constructeur de compatibles, PSI, a été abandonnée suite au rachat de ce dernier par... IBM.
IBM paie son lobby anti-Microsoft ?
Bref, au travers d'organisations ou de petites sociétés, c'est donc bien à un règlement de comptes entre Microsoft et IBM auquel on assiste. Une réponse du berger à la bergère après le soutien apporté par IBM aux poursuites de l'UE contre Microsoft et après la guerre menée par Big Blue au format Open XML lors de sa normalisation par l'ISO. Depuis le départ de ces plaintes visant ses mainframes, Big Blue accuse d'ailleurs à mots couverts Microsoft d'organiser via des "satellites mandataires" une offensive coordonnée contre son activité historique.
A Bruxelles, ce combat souterrain des deux géants fait s'activer les lobbyistes. On retrouve ainsi Florian Mueller, qui a notamment fondé l'initiative NoSoftwarePatents et défendu les intérêts de MySQL dans le rachat de Sun par Oracle (en plaidant contre la fusion). En avril dernier, suite à un courrier d'IBM à TurboHercules, Mueller a mis en exergue les brevets agités par Big Blue pour bloquer le petit éditeur. Or, certains de ces brevets faisaient partie d'un lot que le géant avait promis de ne pas utiliser contre l'Open Source. Et de parler de "traîtrise".
40 % des profits de Big Blue, selon T3
En avril dernier, dans les colonnes de PC World, Thomas Vinje, un autre lobbyiste, qui a fondé le European Committee for Interoperable Systems (ECIS), où figure IBM, estimait de son côté que Florian Mueller pouvait être lié à Microsoft, car tous deux s'étaient rejoints dans leur opposition à la fusion Oracle-Sun. Selon Thomas Vinje, après avoir appris les règles du jeu à Bruxelles - au travers de ses propres procès antitrust -, Microsoft a investi ces dernières années d'importantes sommes pour attaquer ses rivaux au travers de la Commission.
La taille du "gâteau" explique la vigueur de l'empoignade : selon les documents de la Commission européenne, le marché du mainframe a généré 8,5 Md€ de dépenses dans le monde en 2009, dont 3 Md€ en Europe. Selon T3, la plate-forme z/0S - y compris les prestations de services associées - représenterait près du quart du CA de Big Blue et près de 40 % de ses profits. Au troisième trimestre, selon les derniers chiffres d'IDC, l'activité serveurs zOS d'IBM progressait encore de près de 15 %.
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