Finance : un rapport de l'Assemblée Nationale préconise la mort du trading hautes fréquences
Risqué, opaque, inutile socialement. Le rapport de la Commission d'enquête de l'Assemblée Nationale sur les pratiques de la finance se livre à un dézinguage en règle du trading à hautes fréquences, pratique visant à passer de grandes quantités d'ordre en un temps record via l'utilisation de systèmes d'information pointus. Et la Commission de réclamer l'interdiction de ces techniques, ou - à mimina - leur encadrement très strict.
Remis la semaine dernière, le rapport de la commission d’enquête, présidée par le socialiste Henri Emmanuelli (en photo), sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies, s'attaque de front au trading à hautes fréquences (HFT), ces transactions automatiques gérées par des algorithmes exécutés sur de puissants serveurs. Le document rappelle d'abord l'importance du phénomène - 35 % des échanges en Europe et déjà près de 66 % d'entre eux aux Etats-Unis - et s'inquiète des dérives que fait naître cette technique, notamment des capacités de manipulation envisageables avec le HFT, ainsi que de l'opacité renforcée des marchés qui en découle. En effet, comme l'avoue benoîtement le président de l'AMF (Autorité des marchés financiers, le gendarme français des bourses), la technique permet de découper un ordre massif en une multitude de transactions de faible taille, rendant peu lisibles les tentatives de manipulation de cours. Autrement dit, le HFT permet de bander les yeux de régulateurs qui, déjà auparavant, n'étaient pas connus pour inspirer une grande crainte chez les acteurs de marché.
Krach du 6 mai : l'explication officielle ne convainc pas |
"Je doute que l’erreur d’un seul gestionnaire de fonds ait pu avoir de telles conséquences ; d’autres paramètres ont nécessairement joué". Manifestement les explications fournies par le gendarme des bourses américaines pour expliquer le krach éclair du 6 mai dernier n'ont pas totalement convaincu Frédéric Oudéa, Pdg de la Société Générale. Pas plus que Bertrand Jacquillat, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, et présenté comme un spécialiste du HFT. Dans son audition, ce dernier explique : "En ce qui concerne le 6 mai, je n’ai pas encore compris ce qui s’est passé exactement." Le rapport de la SEC (le gendarme des bourses US) et de la CFTC (Commodity Futures Trading Commission) datant de début octobre - soit avant les auditions de la Commission présidée par Henri Emmanuelli - explique pourtant l'origine du mouvement de panique par la mise en œuvre d'un algorithme de ventes mal contrôlé par un courtier. Un peu court pour les spécialistes entendus par la Commission... |
Un procédé socialement "inutile"
Le HFT est également porteur d'un risque systémique, ajoutent les auteurs du rapport. Un phénomène d'emballement comme on a pu en connaître un le 6 mai dernier, avec le krach éclair de Wall Street. Dominique Cerruti, directeur général de Nyse-Euronext (l'opérateur de bourse né de la fusion du New York Stock Exchange et de Euronext), explique ainsi à la Commission : "sur les marchés régulés, à la vue des écarts de cours, les opérateurs présents ont arrêté les programmes, pris leur téléphone pour demander aux courtiers si le cours était vraiment celui auquel ils voulaient négocier. Dans la négative, ils ont suspendu les cotations. Quelques secondes, au pire quelques minutes, suffisent pour revenir à l’équilibre. Mais, là où les procédures étaient entièrement automatisées, sur les MTF (plates-formes de courtage non réglementées, autorisées en Europe depuis la directive MIF de 2007, NDLR), les ordinateurs ont, faute de personnel suffisant, continué à tourner une dizaine de minutes de trop. Il a donc fallu détricoter les ordres aberrants qui avaient été exécutés". Bref, pour Dominique Cerruti, ce n'est pas tant le HFT qui est en cause que la déréglementation des marchés. Une façon de prêcher pour sa paroisse... tout en dédouanant des techniques de trading dans lesquelles Nyse-Euronext a lourdement investi. Comme l'expliquaient récemment nos confrères de Challenges, l'opérateur de bourse a investi 500 millions d’euros
pour construire à Malwah (États-Unis) et à Basildon (Grande-Bretagne) de
gigantesques datacenters que les adeptes du HFT se partagent en colocation.
Les explications du DG de Nyse-Euronext n'empêchent pas la Commission de conclure à "l'inutilité sociale" du trading à hautes fréquences et de prôner tout simplement son interdiction (une fois révisée la directive MIF, qui a ouvert à la concurrence les marchés boursiers de l'Union, contexte dans lequel le HFT joue un rôle d'unification des prix). Tout en appelant d'ores et déjà à encadrer ces pratiques, la Commission note toutefois que ce constat sur l'inutilité du HFT n'est pas partagée à l'échelle de l'Europe, alors que c'est à ce niveau que pourrait se jouer un encadrement efficace de ces pratiques.
Christine Lagarde sur la même ligne
Malgré ce constat d'impuissance à l'échelon national, la Commission préconise de mettre la pratique sous surveillance (via l'Autorité de contrôle prudentiel, issue de la fusion des autorités de contrôle des banques et des assurances) et livre quelques pistes de mesures limitant l'intérêt du HFT (augmentation des temps de latence, réglementation des annulations, élargissement de l'écart minimum entre deux cours consécutifs, etc.). Un coup d'arrêt au laisser-faire que semble approuver Christine Lagarde, la ministre de l'Economie, qui, dans son audition devant la Commission, explique à propos de ces procédés : "compte tenu de la rapidité avec laquelle ils génèrent des mouvements de cotation artificiels, ma tendance première serait de les réglementer, de les encadrer strictement, voire, une fois comparés leurs avantages et leurs coûts, de donner à l’Autorité des marchés la possibilité de les interdire dans certaines circonstances".
Un pavé dans la mare du monde de la finance, qui a investi lourdement dans les infrastructures informatiques autorisant le mise en œuvre de ces techniques. Et dont tous les acteurs protègent jalousement les fameux algorithmes censés transformer en or le simple bourdonnement d'un (gros) serveur.
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