LeMagIT : deux mois de misère numérique en plein coeur de Paris
LeMagIT, c'est aussi une PME. Qui, comme tant d'autres, vit l'enfer du numérique, baladée d'opérateur en opérateur. En pleine Assises du numérique, récit de deux mois d'errements à l'ère de l'IP roi. La rédaction invite le secrétaire d'état en charge du Développement de l'économie numérique, Eric Besson, à visiter une des zones blanches du numérique en France... C'est à Paris, dans le 19ème arrondissement !
Certaines idées ont la vie dure. En France l'administration serait inefficace, tandis que les acteurs privés seraient vertueux et performants. L'expérience récente du MagIT avec ses télécoms montre que cette proposition n'est pas toujours vraie. On nous annonçait ainsi un parcours du combattant pour la création de notre structure juridique. Ce fût finalement (presque) un jeu d'enfant. Nous pensions que les acteurs privés comme la banque, les assureurs ou les organismes de mutuelle santé seraient efficaces. Et c'est en réalité bien plus contestable. Mais la palme de l'embrouillamini revient sans nul doute aux opérateurs télécoms. Ainsi, près de deux mois après notre création, nous sommes toujours sans téléphones fixes.
Centrex IP : ne quittez-pas, Kafka va vous répondre
Tout a commencé par un appel à France Télécom afin de demander la mise en service de l'offre Business Internet Centrex, l'offre de Centrex IP pour PME de l'opérateur. Appel au 1016 (agence pour les professionnels) qui répond tout de go que cette offre n'est pas de leur ressort et qu'il faut appeler une agence entreprise. Aussitôt dit aussitôt fait, nous voici en train d'appeler Orange Business Services pour effectuer la même demande. Ecoute polie de notre interlocutrice qui demande combien de postes sont concernés. Notre demande porte sur huit postes. Et mon interlocutrice de me répondre qu'en dessous de dix postes, je ne peux traiter avec l'agence entreprise. "Oui mais…, tentons-nous alors d'objecter sentant pointer une situation un tantinet kafkaïenne. Vos collègues de l'agence pro disent que cette offre n'est pas de leur ressort et que vous êtes les seuls à pouvoir me la vendre". "Les c…" entendons-nous alors grommeler notre interlocutrice. A sa décharge, elle tentera bien de débloquer la situation et en désespoir de cause de nous envoyer un peu de documentation sur l'offre. Précisons que son e-mail référencera en pièces jointes des documents situés sur l'intranet de France Télécom, donc inaccessibles pour un client lambda.
Une PME d'accord, mais avec les garanties d'un grand compte !
Exit donc France Télécom, nous voici donc chez B3G, un des opérateurs montants en téléphonie sur IP. L'opérateur a bonne réputation et est en général bien noté en termes de qualité de service. Notre contact commercial est efficace, comprend nos besoins et nous propose rapidement une offre adaptée. Nous voici donc en train d'approuver une proposition incluant Centrex IP, communications illimitées et postes IP en location. Tout se passe bien… pendant deux jours. Car l'offre de B3G s'appuie sur les services financiers d'une société de leasing. Et cette dernière ne voit pas d'un bon œil les sociétés en création (on ne le répétera jamais assez, les banques et la création d'entreprise ne font pas bon ménage en France). Bref nous revoici en train de discuter avec B3G d'une offre modifiée ou nous achèterions les terminaux. Ce qui ne nous pose pas de souci.
Seul problème le leasing ne porte pas que sur les terminaux, mais aussi sur une partie des services. Résultat, voici l'opérateur en train de nous demander de payer près de 5 000 € pour 3 ans de services, alors que le principe même du centrex est de mensualiser la dépense. Le monde à l'envers.
France Télécom…pour Neuf Télécom !
Retour à la case départ. Exit le Centrex IP, ce sera de la téléphonie sur IP standard. Et en la matière, une offre se démarque des concurrentes, celle de Neuf Télécom. Nous voici donc de nouveau au téléphone (mobile, merci Orange) pour souscrire à l'offre 9Pass. Là encore, le contact est efficace, quoique un tantinet plus "vendeur" que chez les opérateurs précédents. Nous avons droit au coup de la remise si on se décide vite. Cela fait maintenant deux semaines que nous sommes dans nos locaux, et sans téléphone. Aussitôt dit aussitôt fait, nous voici en train de souscrire à l'offre 9Pass. Bonne surprise, c'est beaucoup moins cher que ce que nous proposaient les concurrents. Mauvaise surprise, le délai d'attente est de cinq à sept semaines. C'est que voilà mon bon monsieur "nous dépendons de France Télécom pour le dégroupage de la ligne…". Le reste est affaire de jugement.
Certes, il faut 10 à 15 jours sur Paris pour dégrouper une ligne, mais une fois cette opération effectuée, l'IPBX Offix 900 (le nom de la neuf box "pro") n'est pas ce que l'on peut appeler une centrale atomique côté configuration. Difficile d'expliquer dès lors le délai supplémentaire réclamé par l'opérateur. Il faut croire que l'offre a du succès et que NeufCegetel a du mal à trouver des intégrateurs pour faire face à la demande, où que, plus prosaïquement, il paie suffisamment mal ses intégrateurs pour que ceux-ci ne se bousculent pas à la porte. Nous en saurons plus sur ce point, lorsque, oh miracle, l'intégrateur en question arrivera avec sa petite mallette pour mettre le système en route (c'est prévu pour le 3 juin). Nous pourrons alors juger de la qualité de l'ensemble (l'intégrateur et l'offre).
En attendant nous pouvons ironiquement attribuer un bon point à Neuf. La première partie de son installation s'est bien déroulée. Un technicien France Télécom, se présentant professionnellement comme France Télécom pour Neuf Télécom (les délires de l'ouverture à la concurrence n'ont pas de bornes) est arrivé à l'heure dite, a effectué les connexions et tests nécessaires et est reparti mission accomplie. Félicitation donc à Neuf télécom (euh, pardon à "France Télécom pour Neuf Télécom").
La Fibre, aujourd'hui peut-être… ou alors demain
Si la lumière pointe au bout du tunnel pour la téléphonie, il n'en va pas de même pour l'accès à Internet. C'est un détail, mais nous sommes quand même une publication web. Lorsque nous avons emménagé dans nos locaux, nous savions qu'ils étaient desservis par la fibre d'Orange. S'ouvraient donc à nous les joies potentielles du 100 Mbit symétrique, plutot que les maigres 5,7 Mbit de l'accès ADSL desservant notre immeuble. Oui vous avez bien lu. Non, leMagIT n'a pas ses locaux dans une vallée auvergnate ou pyrénéenne. Nous sommes dans le 19e arrondissement de Paris, mais à 2,3 km de notre nœud de raccordement situé dans le 10e. Comme quoi la capitale a elle aussi ses zones blanches DSL…
Pour en revenir à la fibre, l'histoire commence à ressembler à une blague. La première demande d'Orange pour l'installation : une numéro de téléphone fixe. "Vous comprenez monsieur, on vous installe l'ADSL par la fibre", nous expliquera doctement notre correspondant. Nous vous épargnerons le sketch consistant à expliquer au charmant monsieur que nous n'avons pas le téléphone (voir à ce propos les paragraphes précédents). Finalement au bout de trois semaines, voici qu'arrivent des "techniciens" France Télécom armés de leur couronne de fibre et de leurs malettes. Après une petite heure de travail, premier constat : "vos bureaux (situés en rez de chaussée, NDLR) n'ont pas d'accés au sous répartiteur d'immeuble". Mais alors d'où peut donc provenir ces 14 paires de cuivre téléphoniques qui alimentent nos locaux ? "Sans doute d'un autre raccordement", nous expliquent les techniciens avant de rendre les armes et de préconiser "un raccordement en apparent avec percement de trois murs porteurs". Autant dire qu'avec les autorisations à demander au syndic, cela risque de prendre du temps.
Le vice de la goulotte coudée
Nous avons quand même pris un peu de temps pour essayer de comprendre d'où pouvait venir notre raccordement téléphonique. Remercions au passage chaleureusement le technicien "France Télécom pour Neuf Télécom", qui nous a permis de suivre le cheminement de câble. Conclusion : une magnifique goulotte relie bien nos locaux au fameux sous répartiteur d'immeuble. Nous voici donc en train de rappeler Orange pour réclamer un second passage des techniciens de la fibre. Et ceux-ci de tenter d'utiliser la fameuse goulotte pour faire passer le précieux sésame. Pas de chance, un coude vicieux dans la goulotte empêche la "manip". Au bout de cinq semaines, et de deux passages des doublettes de techniciens, nous n'avons toujours pas vu la lumière au bout du tunnel ou de la fibre…
Sur la base de constat, la rédaction du MagIT invite le secrétaire d'Etat en charge du Développement du numérique à discuter de son expérience, à l"heure où s'ouvrent les Assises du numérique. LeMagIT en profitera pour évoquer également les réalités de la presse Internet.
Pas de vraie presse sur Internet ?
Car, au milieu de nos pérégrinations numériques, nous butons aussi sur un hic imprévu. Le statut de la presse a du mal a passer à l'ère Internet. Quand Libé, Le Monde ou le Figaro se voient attribuer des aides par dizaines de millions d'euros, aides qu'ils injectent prestement dans leurs sites Internet (pas fous…), Le MagIT, fondé par 6 journalistes totalisant quelques décennies de cartes de presse, peine à se faire reconnaître comme une société de presse (Rue86 ou Mediapart semblent buter sur les mêmes écueils). Pour le syndicat de la presse magazine (le SPMI), nous ne sommes qu'une entreprise de communication. La direction du développement des médias (un service rattaché au premier-ministre) nous considère, elle, comme un service de communication au public en ligne (C'est aussi le cas de la Redoute, NDLA). Bref, la Presse, la vraie,c'est encore celle qui a un pied chez Gutemberg ou celle qui prend la voie des ondes hertziennes.
Si nous ne sommes pas envieux des aides à la presse (éventuellement juste inquiets des distorsions de concurrence que peut produire l'injection massive d'euros dans les sites des grands, quand des pure players comme Rue89 ou Backchich n'ont pas les mêmes avantages), nous aimerions juste être reconnus pour ce que nous sommes, à savoir une entreprise de presse, en ligne, avec des journalistes. Peut-être un sujet de réflexion supplémentaire pour les Assises du numérique…
Vous êtes une PME. Vous aussi avez connu des déboires avec le haut débit ou la téléphonie sur IP, racontez-nous votre expérience en écrivant à : [email protected]