Levée de boucliers contre le filtrage d’Internet
Le gouvernement prépare actuellement une charte qu’il entend faire signer aux fournisseurs d’accès à Internet dès ce mardi 10 juin. Ce document fixe de nouvelles obligations aux FAI, à commencer par la mise en place de dispositifs de filtrage, provoquant une véritable levée de bouclier.
Nos confrères de PCInpact ont dévoilé ce vendredi 6 juin l’existence d’une charte que le gouvernement souhaite faire signer aux fournisseurs d’accès à Internet français ce mardi 10 juin. Cette charte, intitulée « Confiance en ligne » et qui tient en quatre pages, prévoit plusieurs dispositions qui font déjà polémique. La mise en place d’une « démarche proactive de sécurisation des équipements par des mesures adaptées (ex : information, suspension, résiliation, blocage de certains ports…) auprès des clients mettant en jeu la sécurité du réseau » ou encore le blocage des liens et des publicités vers des contenus réservés aux adultes dans des espaces qui ne le sont pas, soulèvent la question du filtrage d’Internet et du rôle des intermédiaires techniques du réseau.
L’association Quadrature du Net s’inquiète tout simplement d’un projet de « surveillance et de filtrage généralisé du Net », faisant référence au Big Brother de Georges Orwell.
Un mouvement de fond
Pour Emmanuel Tricaud, directeur des affaires réglementaires et du développement de Colt Telecommunications France, ce projet de charte n’est pas une surprise : « il s’inscrit dans un mouvement de fond qui dure depuis des années ; les pouvoirs publics ont besoin de pouvoir exercer leurs compétences régaliennes, y compris dans des espaces dits immatériels. » Et s’il semble comprendre que les pouvoirs publics s’appuient pour cela sur les fournisseurs de « tuyaux », Emmanuel Tricaud ne s'en interroge pas moins : « Internet est né comme un espace de liberté ; certains l’utilisent mal. Mais veut-on faire des fournisseurs de tuyaux les exécutants d’une politique publique ou ses initiateurs ? Nous demandons que, si filtrage il doit y avoir, une autorité nous indique ce que nous devons filtrer. Tel qu’il a circulé la semaine dernière, le projet invente de nouvelles obligations contraires aux principes mêmes sur lesquels les lois sont fondées. » Et de souligner, comme point de départ, l’obligation du fournisseur d’accès à Internet de neutralité vis-à-vis des contenus, relevant la nature « antidémocratique » d’un dispositif dans lequel les FAI devraient filtrer des contenus sans en avoir reçu l’ordre du pouvoir judiciaire.
Des risques potentiels pour l’activité des entreprises
Yann Genetay, président d’Ipnotic Telecom, ne se sent pas vraiment concerné : « pour les entreprises, les blocages semblent hors de propos », même si, dans le cas de restrictions sur des accès grand public, « cela peut compliquer la vie des travailleurs nomades. » Nicolas Aubé, président de l’opérateur Céleste, relève néanmoins que d’éventuels blocage sur le tunneling ou le chiffrement seraient très handicapants : « on a besoin d’une certaine liberté pour les entreprises. Il ne faut pas que l’on nous empêche de fournir ce type de service. »
Mais Nicolas Aubé ne cache pas son affinité avec le projet de charte. Selon lui, « les fournisseurs d’accès à Internet ne sont pas assez responsables. Ils laissent faire tout et n’importe quoi. » Pour lui, notamment, les autorités judiciaires « doivent pouvoir faire des écoutes sur Internet. » Mais Nicolas Aubé n’en relève pas moins les limites du projet actuel : « on a besoin de savoir clairement ce qui peut être imposé aux fournisseurs et aux clients. » Le filtrage de ports, « c’est difficile mais jouable. » Mais l’archivage des logs, « c’est quoi ? les logs de connexion ou les logs DNS ? Dans ce second cas, ce serait colossal comme masse de données. »
Quant au coût des mesures, le président de Céleste ne semble pas trop s’en inquiéter : « je comprends que cela soit un problème pour les fournisseurs grand public ; mais sur le marché entreprises, on peut le répercuter sur les clients. » Reste à savoir s’ils apprécieront.