Les députés mettent à mal la concurrence sur le très haut débit
Les députés ont adopté, au cours de la première séance du lundi 9 juin dernier, un amendement qui exempte les opérateurs ayant déjà déployé un réseau très haut débit dans les immeubles de le mutualiser avec leurs concurrents. Une bonne nouvelle pour Numéricable.
Les parlementaires qui ont participé à la première séance des débats à l’Assemblée Nationale, ce lundi 9 juin, pourraient avoir vidé de sa substance une partie du projet de loi pour la modernisation de l’économie, au moins en ce qui concerne le développement du très haut débit.
En effet, l’article 29 du projet voulait « faciliter l’accès des opérateurs aux immeubles existants […] à condition qu’ils assument les frais d’installation et coordonnent leurs travaux dans le respect des copropriétaires et d’une concurrence saine et durable. » Et d’insister sur la logique de mutualisation des infrastructures : « en particulier, le premier opérateur câblant un immeuble devra donner accès aux suivants dans des conditions encadrées par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes. »
Mais patatras, Corinne Erhel, députée socialiste de la cinquième circonscription des Côtes d’Armor, s’inquiéte de la pérennité des investissements de ceux qui se sont déjà lancés dans la course au très haut débit. Et elle n’est pas seule.
Protéger les investissements déjà réalisés
L’amendement 576, déposé par les « membres du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche », vise à introduire « une exception pour les opérateurs ayant déjà installé un réseau à haut débit dans un immeuble donné et pour les opérateurs ayant établi un réseau à haut débit en pied d’immeubles avec l’autorisation de la collectivité territoriale. » L’amendement 576 est notamment défendu par Jean-Louis Gagnaire, élu de la Loire (Saint-Etienne), François Brotte, de l’Isère, Catherine Quéré, de Saintes en Charente Maritime, et Pascale Got, de Gironde.
Soutenant l’amendement 576, Corinne Erhel a ainsi commencé par expliquer qu’il est « indispensable de prendre en compte la situation des opérateurs ayant déjà investi dans l’installation de réseaux haut débit dans un immeuble. » Elle a été rejointe en ce sens par Jean-Paul Charié, député UMP de la cinquième circonscription du Loiret. Selon lui, « il ne serait pas normal » que les investissements déjà consentis par les premiers lancés dans la course au très haut débit « passent par profits et pertes au motif que nous souhaitons le développement du haut débit. »
Jean Dionis du Séjour, député Nouveau Centre de la première circonscription du Lot-et-Garonne, n’a pas manqué d’exprimer ses réserves, relevant que «l’obligation de mutualisation doit s’imposer à tout le monde.»
Mais François Brotte insiste, quitte à caricaturer le concept de mutualisation : «il est tout de même difficile d’imaginer que l’opérateur qui a fait l’investissement de base pourrait, du jour au lendemain, être éliminé au profit du nouvel entrant qui pourrait utiliser sans vergogne le câblage existant. C’est du bon sens.»
Manifestement rallié à la cause des défenseurs de l’amendement 576, Eric Besson, le secrétaire d’état chargé de la Prospective, de l’Evaluation des politiques publiques et du Développement de l’économie numérique, a assuré que l’exception n’était qu’administrative, portant sur la règle de convocation de l’assemblée générale des copropriétaires. Et tant pis si le texte semble n'avoir aucun rapport avec cet argument, Jean Dionis du Séjour s’est laissé convaincre. Reste que l'amendement fait désordre en pleines assises du numérique, dont un des objectifs, fixés par le même Eric Besson, est précisément d'accélérer le déploiement du haut débit dans l'Hexagone.
Les intérêts bien protégés de Numéricable
Interrogée par nos confrères de PCInpact, l’association UFC Que Choisir relève « une bourde monumentale » des édiles, bourde très favorable à Numéricable. L'opérateur revendique en effet quelques 9,5 millions de logements desservis dans plus de 1200 communes (voir carte ci-dessous). L’opérateur travaille actuellement à la rénovation de son réseau en amenant la fibre optique en pied d’immeuble. Le câble coaxial, que le député François Brottes qualifie de « révolu », permettrait des débits supérieurs à 2,5 Gbit/s selon Numéricable.
Le réseau de Numéricable
Dans un communiqué, Numéricable dénonce "les propos mensongers et diffamatoires" de l'UFC Que Choisir. L'opérateur estime ainsi que "la loi telle qu'adoptée par l'Assemblée Nationale place Numéricable à égalité avec tous les autres opérateurs de fibre optique en matière de mutualisation et de conventions avec les propriétaires ou gestionnaires d'immeubles." Numéricable concède que l'amendement 576 conforte sa stratégie de mise à niveau de ses réseaux câblés existants, "sur la base des accords initiaux" mais ne dit pas mot de la mutualisation de ces réseaux.
Se défendant de retirer le moindre avantage de l'amendement 576, Numéricable assure apporter "une concurrence nouvelle et attendue par les consommateurs dans les services très haut débit."
Un concurrent de Numéricable sur le déploiement de la fibre optique, contacté par Le MagIT, mais qui ne souhaite pas s'exprimer ouvertement, relève néanmoins des risques de "discrimination forte entre les acteurs". Et de souligner que les dispositions de l'amendement 576 pourraient aussi bien s'appliquer à Orange, en cas de remplacement de ses paires de cuivre.
Dans un communiqué, l'UFC Que Choisir s'inquiète enfin d'un déséquilibre entre "les droits et devoirs des copropriétés et ceux des opérateurs", soulignant de Numéricable "sera libre de pénétrer dans les immeubles où il est déjà présent et de déployer ses infrastructures sans que les copropriétés [...] aient leur mot à dire."