Supercalculateurs : l'Etat français tente de relancer un secteur assoupi
Si deux clusters français réussissent à faire leur entrée au Top10 des plus grands supercalculateurs mondiaux, le monde du calcul français reste largement à la traîne. Entre la discrétion des entreprises privées et le manque de moyen des organismes publics, c'est tout un secteur qui illustre le retard technologique croissant du vieux continent. Roadrunner, l'ordinateur Petaflops américain, a trois ans d'avance sur les clusters 100 Tflops hexagonaux.
Le dernier classement Top 500 des plus puissants supercalculateurs mondiaux illustre le regain d'investissement français en matière de supercalcul, avec l'apparition de deux clusters hexagonaux à plus de 100 Tflops dans le classement. Le premier est dédié à la recherche scientifique et situé au centre de calcul du CNRS, l'IDRIS. Le second est la propriété de Total, qui l'utilise pour l'exploration pétrolière. Il est situé dans le centre informatique de la firme à Pau.
Ces clusters sont suivis de peu par le supercalculateur "Frontier" conçu par IBM pour EDF (plus de 92 Tflops). Deux autres systèmes français sont aussi présents parmi les cent plus performants listés au Top 500, à savoir le cluster Tera-10 et le cluster Platine, tous deux exploités par le CEA au sein du CCRT (Centre de Calcul Recherche et Technologie). Curieusement le supercalculateur NEC de Météo France (35 Gflops) - qui devrait logiquement figurer dans le Top 100 - n'apparaît pas au classement.
Entreprises : pour vivre heureux, vivons cachés ?
Au delà de cet « oubli », le plus étonnant reste l'épais brouillard dont s'entourent les 28 autres clusters français classés au Top 500. Il y a encore quatre ou cinq ans, les grands de l'industrie, des services et de la finance hexagonale n'hésitaient pas à mettre en avant leur capacité de calcul synonyme de modernisme. France Télécom, la CGG, Dassault Aviation, Michelin, Calyon, la Société Générale Investment Banking, la BNP, Renault ou PSA figuraient ainsi régulièrement dans le classement. C'est désormais fini. Les clusters des grandes entreprises privées se cachent désormais derrière des appellations génériques (le nom du possesseur est dissimulé derrière un nom pudique de catégorie, comme banque, opérateur télécom, constructeur automobile, société d'information, éditeurs de jeux en ligne...).
A croire que ce sont toutes les grandes entreprises françaises qui lentement tournent le dos au progrès, quand les pays émergents ou les Etats-Unis affichent fièrement leur technologie. Qui pourrait sérieusement croire qu'il y a un intérêt à dissimuler de telles ressources sous un obscur prétexte d'avantage compétitif ? C'est un secret de polichinelle que toutes les banques ont des clusters de calcul de risque, que les grands de l'industrie sont des champions de la simulation numérique, etc... A moins que ce goût du secret (il est vrai largement dopé par des directions de la communication paranoïaques) ne soit un peu à l'image d'un certain mal français, qui affiche un mépris à peine voilé pour la technologie, vue comme une contrainte et comme un coût, plutôt que comme un outil de compétitivité et de progrès.
Une prise de conscience au sommet de l'Etat
Dans ce contexte, il paraît ironique que ce soit au sommet de la puissance publique, et notamment à l'Elysée, que la prise de conscience de l'importance du supercalcul soit la plus forte. L'an passé, la France a créé le GENCI (Grand Equipement National de Calcul Intensif), un consortium qui réunit le Ministère de la Recherche, le CEA, le CNRS et les Universités. Doté d'un budget encore modeste de 25 M€ (une enveloppe promise toutefois à de meilleurs jours), GENCI a contribué à la reprise de l'investissement en matière de supercalcul dans l'Hexagone.
Le consortium a ainsi contribué au financement du futur calculateur à près de 150 Tflops du CINES, le Centre informatique national de l'enseignement supérieur à Montpellier. GENCI finance aussi la construction d'un nouveau cluster hybride au CCRT alliant puces Xeon et Tesla de Nvidia. Sa puissance devrait aussi largement dépasser les 100Tflops, surtout avec les codes optimisés pour tirer parti des GPU de Nvidia.
Malgré ces efforts, le retard sur les Etats-Unis perdure. Alors que les Américains sont déjà engagés dans la course au decapetaflops (10 petaflops), la France - et plus largement l'Europe - restent encore largement bloquées autour de la barre des 100 Tflops. A moins d'un effort d'investissement bien plus conséquent qu'aujourd'hui, la recherche du vieux continent devra se satisfaire d'une puissance de calcul équivalente à celle dont disposait son homologue américaine il y a trois ans. Autant dire une éternité pour certains secteurs d'activité...
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