Les dangers du projet de loi « Création et Internet »
Conçu pour inciter les particuliers à renoncer au téléchargement illicite d’œuvres de l’esprit, sur Internet, le projet de loi « Création et Internet » présenté ce mercredi matin par Christine Albanel en conseil des ministres risque de faire planer une nouvelle épée de Damoclès au-dessus des entreprises, des administrations mais aussi des fournisseurs d’accès à Internet.
Très contesté par les défenseurs des libertés individuelles, le projet de loi « Création et Internet », visant à lutter contre le piratage des œuvres de l’esprit sur Internet, a été présenté ce mercredi 18 juin au matin à la presse ainsi qu’au Conseil des ministres, par Christine Albanel, ministre de la Culture.
Jusqu’à la suspension de l’abonnement
Le projet de loi « Création et Internet » s’appuie principalement sur un organe administratif indépendant, la Haute Autorité à la diffusion et la protection des œuvres sur Internet (Hadopi), issue de l’actuelle Autorité dé régulation des mesures techniques de protection des œuvres (DRM), créée par la loi sur les Droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (Dadvsi). Le projet de loi Création et Internet dote l'Hadopi d'une Commission de protection des droits, son bras armé. C'est à elle qu'incombe la charge des poursuites à l'encontre des internautes pris en faute par les ayants droits.
La rédaction de l’article L.331-24 du code de la propriété intellectuelle, proposée par le projet de loi, ne laisse guère de place au doute : « la commission de protection des droits peut envoyer à l’abonné » une recommandation, en cas de manquement constaté à ses obligations définies à l’article L. 336-3 ; l'envoi ou pas de ladite recommandation restant à l'appréciation de la commission. Mais l’exécution du reste du processus de riposte graduée (recommandation expédiée en recommandé avec accusé de réception, suspension de l’accès à Internet, en cas de récidive dans un délai de 1 an) est conditionné à l’envoi de la première recommandation : le projet de loi ne « court-circuite » pas le processus de riposte gradué.
L’article L.331-25 prévoit une « procédure contradictoire », préalable à la prononciation des sanctions les plus lourdes prévues par le projet de loi. Mais ne la détaille pas. Les rédacteurs chargent d’ailleurs le Conseil d’Etat de préciser, par décret, les juridictions compétentes pour former un recours contre les décisions de l’Hadopi, de même que les sanctions pouvant l’objet d’un éventuel sursis.
Une protection très limitée pour les entreprises
Dans son discours, Christine Albanel s’est attachée à rassurer les entreprises et les professionnels : "Dans le cas des entreprises – pour lesquelles la suspension d’Internet aurait des effets excessifs – le projet de loi prévoit une mesure alternative. L’employeur sera invité par la Haute Autorité à installer des « pare-feux » empêchant le piratage par les salariés à partir des postes de l’entreprise."
Las, le texte du projet de loi n’inclut aucune disposition contraignante en ce sens et laisse l’appréciation de la situation à la discretion de l’Hadopi. Dans son introduction, le projet precise simplement que l’Hadopi "pourra" imposer une sanction alternative à la suspension d’abonnement, dans le cas où celui-ci fera l’objet d’un usage professionnel.
Les sanctions prévues aux articles L.331-24 et L.331-25 du code de la propriété intellectuelle peuvent s’appliquer autant à des particuliers qu’à des entreprises ou à des collectivités et des grandes administrations : le texte mentionne « l’abonné », sans plus de détail.
De nouvelles contraintes pour les abonnés
L’article L.331-30 précise que l’Hadopi "établit la liste des moyens de sécurisation regardés comme efficaces pour prévenir les manquements à l’obligation mentionnée à l’article L.336-3." En l’absence de liste, il est difficile d’estimer le coût, pour les personnes morales, de l’application de cette disposition. Mais celui-ci sera d’autant plus important qu’il faudra non seulement se conformer à ces obligations, mais aussi mettre en place des processus de traçabilité susceptibles de permettre d’apporter la preuve de cette conformité.
L’article L.336-3 dispose quant à lui que l’abonné doit « veiller à ce que [son accès à Internet] ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou un droit voisin » sans autorisation des ayants-droits.
De nouvelles contraintes pour les FAI
Les fournisseurs d’accès à Internet vont devoir adapter leurs infrastructures (encore !) afin de pouvoir dissocier leurs différents services (télévision, téléphonie, Internet) : l’article L. 331-28 prévoit en effet que seul l’accès à Internet puisse être coupé. C’est la commission de protection des droits qui ordonnera directement la suspension de l’accès à Internet de l’abonné condamné. Les opérateurs disposeront d’un délai de 15 jours pour s’exécuter, sous peine d’une sanction pécuniaire de 5 000 €.
Le processus de souscription d’abonnement devrait en outre être rallongé. En effet, les FAI seront chargés de vérifier que leur aspirant client ne figure pas sur la liste des personnes condamnées, liste tenue par l’Hadopi. Le non respect de cette obligation, ou l’abonnement d’une personne condamnée, c’est encore 5 000 euros.