Paquet télécoms : tentatives de main basse sur le net en Europe

A partir de lundi, le paquet télécoms est rediscuté au parlement européen pour être révisé. L’occasion pour les lobbyistes de tout poil d’avancer leurs pions. En ligne de mire, plus de concurrence entre les opérateurs mais surtout un contrôle accru sur les usages, les contenus et les internautes. Au risque de voir réduire les possibilités du web et malmener la protection des données personnelles.

Et si l’Union européenne – sous mandat des Etats membres qui la composent - profitait de l’été pour prendre le contrôle de la toile et plus largement des télécommunications européennes? A compter de lundi le processus de révision du cadre législatif dit « paquet télécoms » sera engagé par le parlement européen avec quelques sujets qui fâchent sur la table. Des centaines d’amendements ont été déposés qui seront débattus au sein de  la commission chargée de l’industrie et par les députés membre de celle sur les consommateurs et le marché intérieur. L’ensemble de la révision sera ensuite proposée au Parlement Européen en session plénière à la rentrée de septembre.

Favoriser encore la concurrence

Concernant les opérateurs, le projet souhaite dynamiser encore plus un secteur jugé trop insuffisamment concurrentiel. En ligne de mire, les opérateurs historiques qui, à la fois dépositaires de l’infrastructure de base et opérateurs de services, auraient tendance à profiter de leur première casquette pour avantager l’autre. Viviane Reding propose donc une séparation fonctionnelle qui serait imposée par les régulateurs nationaux, l’idée d’un éventuel régulateur européen ayant suscitée une levée de boucliers.

Ce modèle de séparation, qui est similaire à celui mis en oeuvre sur les réseaux de transport ferroviaires ou de transport électrique, est déjà à l’œuvre en Grande-Bretagne sans pour autant que les services y soient notablement plus concurrentiels. S'il semble à priori logique, il ignore l'une des particularité du métier des télécoms : les services y sont très dépendants de l'infrastructure et l'infrastructure est parfois une condition clé de l'innovation dans les services. En séparant les deux métiers et en mettant la pression sur les coûts d'infrastructure, ce qui est l'un des objectifs inavoués de la proposition, on risque de voir à terme un recul de la qualité du réseau et des investissements qui y sont réalisés. Un paradoxe, à l'heure où la fibre doit être massivement déployée. C’est d'ailleurs ce que souligne Martin Masse, un chercheur associé à l'Institut économique Molinari et ancien conseiller du ministre canadien de l'Industrie, dans une récente tribune publiée dans Les Echos.

En fait La séparation des infrastructures et des services n'aurait réellement de sens que si elle s'accompagnait d'une obligation de service universel sur l'infrastructure tendant à pousser à un fibrage complet du territoire européen. Un remède qui aurait le mérite de contraindre les opérateurs à réinvestir massivement dans l'infrastructure, certes aux prix temporaire d'une hausse des prix du haut débit. Autant dire que c'est loin d'être gagné. 

Accentuer le contrôle sur les usages et les contenus

Le « nouveau » paquet télécoms pourrait aussi être l’occasion pour les nombreux lobby des industries des contenus d'imposer leur main-mise sur les contenus du web et sur ses usages. C’est la crainte de nombreuses associations de consommateurs ou d’utilisateurs, notamment en France, qui voient avec effroi émerger l’idée d’une extension à l’Europe des principes qui viennent d’être adoptés dans le cadre de la loi « création et internet » (également dîtes loi Hadopi – du nom de l’instance de contrôle qu’elle institue -, ou loi Olivennes, du nom de son concepteur, ex-PDG de la Fnac et pourfendeur - non désintéressé - du téléchargement).

Cette fameuse loi instaure ce que ses partisans ont appelé la riposte graduée, un joli nom marketing qui se traduit par une sanction lourde : après deux avertissements, en cas de téléchargement illicite de contenus, c'est la coupure de la connexion Internet pour un an. Plus de 2/3 des français s'adonnant régulièrement au téléchargement, ce n'est sans doute pas la meilleure solution au problème, à moins de vouloir déconnecter tous les internautes français de la toile...

Pourtant condamné par le parlement européen en avril, le principe de riposte graduée au téléchargement illégal institué par cette loi fait l’objet d’un lobbying permanent tant de politiques français que de la puissante industrie du disque, qui souhaitent l’exporter hors de nos frontières. Il n’est pas présent dans le projet de révision mais des centaines d’amendement au paquet télécoms tentent d'instaurer un durcissement des directives de l’Union européenne sur le téléchargement.

La notion de régulation et d’autorité administrative au pouvoir de sanction y est clé, tout comme la responsabilité des FAI et des prestataires dont les obligations de police se développeraient de plus en plus. Et le rapport de force continental pourrait bien s’inverser avec une présidence française de l’Europe qui aura à cœur de ne pas se retrouver désavouée par l’Europe.

En l’état, le projet de loi français qui doit être voté à l’automne ne serait pas applicable sans risques puisqu’il contreviendrait au cadre législatif européen. Il pourrait même de ce fait être retoqué par le conseil constitutionnel. En commission, le français Jacques Toubon de l’UMP fait feu de tout bois sur les articles concernant la propriété intellectuelle en proposant des amendements insistant bien sur les risques encourus et sur la judiciarisation de tout acte contrevenant. En clair, haro sur la peur du téléchargement.

Le retour de l'informatique de confiance

Encore plus grave, selon La Quadrature du Net, un collectif qui agit comme une vigie sur les projets législatifs portant notamment sur les libertés individuelles à l’ère du numérique, certains amendements déposés proposent carrément l’implémentation d’outils de tracking, de filtrage voir de standards « bloquant » afin de ne permettre l’accès qu’aux contenus préalablement définis comme licites.

Le réseau serait en quelque sorte privatisé au nom de la sécurité, chacun devant se déclarer puis montrer patte blanche. Le conservateur britannique Malcolm Harbour propose ainsi un amendement, qui permettrait la définition des contenus et applications licites ou non. A charge pour les fournisseurs d’accès d’en informer les utilisateurs. Si l’amendement Harbour devait être adopté, la Commission européenne serait également chargée de définir des standards et des procédés techniques de filtrage.

Comme l’explique Guy Bono, député européen socialiste et rapporteur d’un document sur les industries culturelles dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, à notre confrère Ecrans.fr : « les internautes européens risquent de se réveiller avec une sacrée gueule de bois! ».

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