Réaction : « le rachat d'Ilog n'est pas une surprise »
En passant sous pavillon américain, le spécialiste hexagonal de la gestion des règles métier Ilog vient compléter l'offre SOA d'IBM. Tout en soulevant des interrogations chez les concurrents de Big Blue... et au sein des élites hexagonales sur les chances de voir la France posséder un jour des champions dans le logiciel. Les commentaires de deux analystes de Pierre Audoin Consultants : Charles de Saint-Pierre et Eric Ménard.
Lors d'un précédent article, nous évoquions le rachat annoncé d'Ilog par IBM. Et la disparition au passage d'un des derniers grands éditeurs français indépendants disposant d'une clientèle internationale. Deux analystes de Pierre Audoin Consultants, Charles de Saint-Pierre et Eric Ménard, ont bien voulu commenter cette acquisition pour leMagIT.
LeMagIT : L'annonce du rachat d'Ilog par IBM vous a-t-elle surpris ?
Charles de Saint-Pierre : Non pas vraiment, tant elle fait sens pour IBM. La gestion des règles métier était la brique absente du catalogue de Big Blue, qui cherche justement à constituer une des offres les plus complètes du marché en matière de SOA. Cette stratégie vise à fournir des infrastructures logicielles permettant aux entreprises de se montrer plus agiles dans leurs décisions métier, et c'est précisément la vocation de la gestion des règles métier. Ce rachat est donc plein de bon sens, d'autant qu'IBM était le partenaire n°1 d'Ilog.
LeMagIT : Ce rachat soulève aussi des inquiétudes chez les utilisateurs de logiciels Ilog ayant opté pour d'autres plates-formes que celle d'IBM...
C. de S.-P. : C'est vrai. Ilog est aussi un partenaire important de BEA (racheté par Oracle, ndlr) ou de Microsoft. Nous n'avons pas obtenu de réponse claire sur l'avenir de ces partenariats jusqu'à présent. IBM maintiendra bien-sûr l'ouverture des produit d'Ilog sur les autres technologies. Mais il faut voir comment va se passer la cohabitation sur le terrain entre les équipes d'IBM et celles des éditeurs concernés.
LeMagIT : Pour certains commentateurs, le prix déboursé par IBM semble peu élevé. Est-ce votre avis ?
C. de S.-P. : Le ratio prix d'achat sur chiffre d'affaires est en dessous de ce qui se pratique habituellement avec les outils d'infrastructures, où ce taux varie couramment entre 3 et 5 (contre 1,2 dans le cas d'Ilog en se basant sur le CA de 2008, ndlr). Ce prix reflète les difficultés que rencontre Ilog. Depuis quelques temps, cet éditeur traversait une crise de croissance. Une de ses difficultés principales provenait du fait que les grands projets de gestion des règles métier ont été mis de côté pour devenir une composante de programmes plus vastes. Conserver une approche en solo dans ces conditions de marché devenait difficile. Le fait de s'adosser à un grand acteur va permettre à Ilog d'adresser un plus grand nombre de projets.
Eric Ménard : Ilog souffrait aussi d'un problème de positionnement, avec un mode de distribution mélangeant direct et indirect et la volonté d'adresser tant les utilisateurs finaux que les équipes techniques. IBM devrait clarifier cette situation.
LeMagIT : Après le rachat de BO par SAP, c'est le second éditeur français du Top 5 à passer entre des mains étrangères. Est-il trop tard pour développer en France des champions du logiciel, comme l'espèrent les autorités politiques ?
E.M. : Le mouvement de concentration actuel de l'édition logicielle n'est pas favorable à l'industrie française. Les rachats sont effectués par les sociétés détenant des plates-formes, les Oracle, Microsoft, SAP et autre IBM. Et aucune n'est française. Les éditeurs hexagonaux doivent se contenter de s'intégrer sur ces plates-formes. Ils sont donc présents sur des niches dans les logiciels d'infrastructure, mais sont rattrapés par l'expansion des plates-formes. Comme le montre le cas d'Ilog.
LeMagIT : Et dans l'applicatif de gestion ?
E.M. : Depuis la disparition d'Adonix (repris par Sage, ndlr) et de Cartesis (racheté par BO, lui-même absorbé par SAP, ndlr), aucun acteur français n'a réellement la stature internationale. Même si la mise en place des architectures SOA dans les entreprises est favorable au retour du best of breed, à l'excellence fonctionnelle, cette opportunité reste insuffisante pour voir émerger un vrai champion français du logiciel dans ce domaine.