Folle semaine pour la finance US : l'IT français veut éviter la panique
Avec la faillite de Lehman Brothers, le rachat de Merrill Lynch et les rumeurs entourant les autres banques d'investissement, c'est toute la planète finance qui vacille. Les SSII françaises, pour qui les services financiers constituent une activité clef, attestent de la nervosité de la place de Paris. Mais tentent de se montrer rassurantes.
Faillite de Lehman Brothers, sauvetage de AIG, rachat dans l'urgence de Merrill Lynch, rumeurs de faillite de Morgan Stanley et de Goldman Sachs, création attendue d'une structure de défaisance monstre (un CDR époque Crédit Lyonnais mais multi-établissements) : la finance américaine a connu sa semaine la plus agitée depuis la crise de 1929. Malgré ce séïsme, les acteurs français des services veulent rester mesurés. Président du directoire de Aedian, SSII réalisant plus de 80 % de son chiffre d'affaires dans les secteurs bancaires ou de l'assurance, Jean-François Gautier veut d'abord remarquer la différence de profils entre les banques d'investissement américaines, touchées de plein fouet, et les établissements français et plus largement européens. "Ces derniers ont des profils plus généralistes et n'utilisent pas le système à effet de levier des pure-player de la banque de financement et d'investissement aux Etats-Unis", remarque-t-il.
Même volonté de dédramatiser en ce qui concerne les acteurs hexagonaux les plus exposés, comme Natixis ou Calyon, qui ont tous deux annoncé des plans de réduction des coûts affectant l'IT. "Là encore, on n'est pas dans le même schéma qu'aux Etats-Unis. Ces établissements ont derrière eux des actionnaires solides", ajoute le dirigeant, qui remarque qu'aucun de ces actionnaires n'a pour l'instant émis le projet d'abandonner le métier de la banque d'investissement et de financement.
Pas de remises en cause brutales
Stanislas de Bentzmann, co-président de Devoteam, SSII réalisant 25 % de son activité dans les services financiers, relève toutefois la nervosité de la place de Paris toute la semaine : "jusqu'à hier, on frôlait l'affolement. Nos correspondants dans les banques voyaient bien qu'il n'était plus possible d'exclure un risque systémique. Ce vendredi, on sent un grand soulagement". La décision du Trésor américain de garantir les actifs illiquides a fait bondir les marchés. A 16 h, Paris gagnait près de 7 %.
Et la semaine noire de la finance US n'a pas entraîné de remise en cause massive des investissements. Au moins pour l'instant. "Contrairement à septembre 2001 où la réaction avait été brutale, les donneurs d'ordre ne sont pas du tout dans une approche de coupe brutale de leurs budgets. Ils ont même le souci de montrer qu'ils sont proactifs en matière de projet", explique Jean-François Gautier. Qui ajoute toutefois que cette conjoncture va pousser les établissements financiers à durcir leur politique de maîtrise des coûts, en "privilégiant forfaits, centres de services et toutes les formes de mutualisation". Ce dernier constate également des réallocations budgétaires depuis les lignes métier vers les activités transverses. Un effet à la fois de la volonté des directions générales de renforcer les contrôles et une conséquence de la montée des contraintes réglementaires.
Jusqu'où va se diffuser le poison ?
Pour Stanislas de Bentzmann, dont la société est prestataire tant de Natixis que de Calyon, la tempête financière n'a pas de conséquence directe sur l'activité de Devoteam. Même si les deux banques d'investissement venaient à réduire leurs commandes, voire à les arrêter, Devoteam aurait la capacité à redéployer rapidement ses équipes. "Nous sommes dans une période de déséquilibre entre l'offre et la demande. Ce déséquilibre s'est réduit, mais l'activité reste bien orientée et la demande supérieure à l'offre", explique le dirigeant. Qui s'attend toutefois à un durcissement des conditions de marché : "le ralentissement économique va être accentué par la crise financière. Jusqu'alors, j'étais prudemment optimiste en raison de facteurs structurels - mondialisation des échanges, départs en retraite massifs, importance prise par l'IT, absence de surinvestissement -, mais toute la question est maintenant de savoir jusqu'où va se diffuser le poison de cette crise financière ?"
Telle est aussi la préoccupation des autorités financières qui tentent depuis une semaine de circonscrire l'incendie. Pour l'instant, seuls les prestataires des grandes banques d'investissement américaines, donc essentiellement des SSII américaines et indiennes, sont touchés. Dans une interview à Bloomberg, Nicolas Dufourcq, le directeur financier de Capgemini, indiquait que l'exposition de la première SSII hexagonale aux établissements américains en difficulté était très faible. "Avec Lehman, nous réalisons entre 5 et 10 millions d'euros de chiffre d'affaires par an. Avec Merrill Lynch, c'est moins. Et avec HBOS, c'est pratiquement zéro", expliquait le dirigeant. En difficulté, HBOS (Halifax Bank of Scotland) a été racheté par la Lloyds.
Lehman : 3,1 % de la dépense IT dans les services financiers
Fortement présent aux Etats-Unis, où il y a connu de récents déboires, Jean-Michel Bérard, Pdg de Esker, se pose lui des questions sur l'impact psychologique de la crise : "on sentait une légère reprise aux Etats-Unis ces derniers mois, avec un redémarrage de notre activité. Mais il est encore difficile d'évaluer l'impact qu'auront les dernières annonces".
Selon une étude de Financial Insights, une filiale du cabinet d'études IDC, Lehman Brother pesait 3,1 % des investissements informatiques dans les services financiers aux Etats-Unis. Et Merrill Lynch, 2,9 %. Le cabinet souligne que l'intégration de cette dernière dans Bank of America procurera des opportunités pour les fournisseurs à court terme, tout en réduisant à moyen terme le niveau de dépenses IT de l'établissement, qui profitera de synergies avec son acquéreur.