Pour traverser l'Atlantique, les logiciels américains voyagent en « First »
Les prix facturés par les éditeurs américains pour leurs logiciels sur le vieux continent continuent à être sensiblement plus élevés qu'aux USA. A ce jeu, certains membres de la BSA comme Adobe, AutoDesk, ou Microsoft se distinguent, tandis que d'autres tels que Symantec ou Apple sont plus raisonnables… Ces pratiques pénalisent les sociétés européennes et ont aussi un impact désastreux pour les éditeurs du vieux continent.
C'est un constat récurrent : le prix des logiciels en Europe est sensiblement plus élevé que celui des mêmes produits aux Etats-Unis. L'arrivée des dernières moutures des logiciels Adobe, la suite CS4, est ainsi une parfaite illustration des pratiques tarifaires désastreuses des firmes américaines sur le vieux continent. Les dernières listes de prix publiées par l'éditeur montrent ainsi que ses logiciels sont facturés jusqu'à 70% plus cher en Europe qu'aux Etats-Unis. C'est sans doute ce qu'Adobe considère comme les bénéfices de la globalisation, en tout cas pour son résultat net. Car pour l'utilisateur c'est un peu comme si les suites CS4 d'Adobe avaient décidé de voyager en première classe de San Jose à Paris. Historiquement, Adobe avait une ligne de défense contestable mais à la limite acceptable. L'éditeur mettait ainsi en avant les coûts de localisation de ses logiciels pour expliquer le différentiel de prix. "Vous comprenez", m'expliquait il y a quelques années un responsable de l'éditeur, "l'Europe est un marché fragmenté avec plus de langues que de pays, alors que les Etats-Unis sont un marché unifié."
Des logiciels jusqu'à 95% plus chers qu'aux Etats-Unis
Le problème est qu'aujourd'hui Adobe vend aussi ses logiciels en Français aux Etats-Unis et que la comparaison des tarifs vient démolir les arguments de l'éditeur. Ainsi, une version complète et en français de la Creative Suite 4 Master Collection est vendue 2499 $ aux Etats-Unis, contre 2999 € HT en France (soit l'équivalent de 4200 $). Le même logiciel coûte donc 68 % plus cher en France qu'aux USA. Le différentiel est de 72% pour la Creative Suite 4 Design Premium en français et de 71 % pour la suite Creative Suite 4 Design Standard, toujours dans la langue de Molière. Et comme Adobe n'est pas à un paradoxe près, le différentiel entre une version anglaise achetée aux USA et en France tombe à 27 % pour la suite Creative Design Standard. Pour ceux auxquels ces différentiels de prix donneraient l'idée d'un voyage aux Etats-Unis pour ramener une version des logiciels Adobe en France, Adobe a prévu la parade : la licence logicielle interdit expressément l'exportation et l'usage des produits vendus aux USA ou au Canada en Europe…
La pratique de surtarification des logiciels en Europe n'affecte toutefois pas qu'Adobe et l'on peut même constater qu'elle est monnaie courante chez les membres de la fameuse association d'éditeurs BSA. Chez AutoDesk, AutoCad est ainsi vendu aux environs de 4000 $ aux Etats-Unis alors que son prix français est de 4775 € HT, soit près de 6732 $. Là encore, la différence tarifaire est de 70 % sur le prix hors taxe. Chez Quark, la situation reste aussi problématique. L'éditeur contraint ainsi les utilisateurs européens à acheter la version passeport (env. 1350 € HT ou 1900 $) alors que les Américains peuvent acquérir l'édition standard à partir de 750 $. Pour couronner ce panorama, on peut aussi évoquer le cas de Microsoft, qui vend Windows Vista Ultimate à 319 $ aux USA et environ 440 € HT en France, soit une prime de 94 %. Par comparaison, les 17 % de prime imposés par Apple sur Mac OS X 10.5 (129 $ contre 107 € HT) paraissent presque charitables…
Des pratiques répréhensibles d'un point de vue concurrentiel ?
Ces pratiques tarifaires sont désastreuses d'un point de vue concurrence internationale. Elles permettent par exemple aux entreprises américaines de bénéficier de tarifs de licences bien plus avantageux que ceux de leurs homologues européennes et donc d'adopter plus vite les nouvelles technologies pour améliorer leur compétitivité. Dans ce contexte, pas étonnant que les entreprises utilisatrices européennes répliquent en adoptant de plus en plus le libre, quand certaines ne recourent pas carrément au piratage (une pratique que LeMagIT se refuse à soutenir). Ces pratiques ont un autre aspect pervers pour ce qui concerne le développement des éditeurs européens à l'international. Pour être compétitif sur le marché US, les petits éditeurs européens, déjà fragilisés par leur accès plus réduit aux financement privé, doivent pratiquer des prix déraisonnablement bas pour être compétitifs avec leur concurrents locaux - on pourrait analyser la surprime appliquée par les éditeurs US en Europe comme un moyen de financer le dumping de leur propres produits aux Etats-Unis. De quoi sans doute alimenter les réflexions et la curiosité des autorités de la concurrence européennes.