Le numérique, une locomotive pour l'emploi ? Ce n'est pas gagné !
Ne serait-ce que dans les perspectives d'emploi à cinq ans, le décalage est flagrant entre les statistiques officielles et les ambitions de la filière numérique. Mais quelques mesures concrètes (POE, option au bac) annoncées pour 2012 pourraient contribuer à faire bouger les lignes.
En quinze ans, le numérique a créé 700 000 emplois. Et près de 10 000 de plus (solde net) en 2011, rien qu'en ingéniérie et conseil, selon le Syntec. Martelé par les représentants des SSII, des éditeurs et autres acteurs du web, le message ne trouve guère encore d'écho du côté de l'Administration. Secteur porteur, filière de croissance? Allons donc ! Dans les perspectives d'emploi à cinq ans et à vingt ans présentées mardi 17 janvier par le Centre d'analyse stratégique (CAS, organe d'expertise rattaché au cabinet du Premier ministre), pas une seule mention du numérique.
Certes « les activités informatiques et système d'information» se distinguent en tête des secteurs dont l'emploi s'est maintenu dans la crise (+10,8% depuis 2007). Mais dans les projections à l'horizon 2016 et dans la hiérarchisation des secteurs porteurs, tout juste cite-t-on les services cognitifs aux entreprises, dont relèvent «conseil et assistance» (qui englobe l'informatique, et bien d'autres filières de métiers) et la R&D comme pourvoyeurs d'emplois haut de gamme et en nombre (153 000 emplois d'ici à 2016, 21 000 pour la R&D).
« A plus long terme (2030), la montée de l'immatériel dans la création de valeur fortifie la position de ces secteurs. Avec, selon les scenarii plus ou moins optimistes, de 330 000 à 410 000 emplois en 20 ans », précisait Vincent Chriqui, directeur général du CAS lors de la présentation de ces études. Et encore ! Se rangent pêle-mêle dans cette catégorie ingénierie, marketing, architecture, design, publicité.
Une mosaïque de métiers à clarifier
On est loin des objectifs soutenus également ce mardi 17 janvier par le Syntec numérique dans ses propositions aux candidats à la Présidentielle. A commencer par les 50 000 emplois prévus sur 5 ans, rien que pour le secteur logiciels & services. Sans compter les start-up du numérique dont « les emplois connaîtraient une croissance de 22% par an », comme le rappelle Gilles Babinet, président du Conseil national du numérique (CNN) dans une tribune du Monde. « L'évolution naturelle du secteur du numérique devrait permettre de créer environ 450 000 emplois dans les années à venir. L'enjeu serait d'en créer au moins un million ».
Sur le front du chômage, les POE |
L'enjeu (selon le Medef, au sommet social du 18 janvier): 60 000 emplois, pour autant de chômeurs reclassés, grâce à l'extension du dispositif de préparation opérationnelle à l'emploi (POE) dans dix branches en demande de compétences. Dont l'informatique ? De fait, la fédération Syntec (qui englobe les filières numérique, ingénierie, études et conseil) a mis à l'ordre du jour de sa prochaine réunion d'état-major, le 27 janvier, la signature de la convention avec Pôle Emploi qui permettrait au Fafiec, son OPCA (collecteur des cotisations formation de la branche), d'organiser le programme de POE pour la branche. «Il n'est pas irréaliste de penser que la filière numérique pourrait passer de 40 000 emplois créés par an, à 50 000», observe Max Balensi, délégué général de la fédération Syntec. La part de reclassement (POE), y compris d'informaticiens au chômage, face à cette éventualité ? «Même à grosses mailles, bien malin qui saurait le dire». |
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Il est vrai que la mosaïque complexe des métiers et emplois concernés reste difficile à cerner pour des décomptes strictement statistiques. L'Insee et la Dares ont ajusté le tir en 2009 dans leur nomenclature. Mais webmasters, concepteurs de sites ou de jeux ou community managers relèvent d'un classement (secteur communication, information, arts et spectacle) qui masque leur spécificité. Pour la filière numérique, un effort de clarification, comme celui conduit par l'observatoire des métiers de l'économie verte autour des métiers verts ou « verdissants », reste à faire.
On ne saurait taxer cette attente de clarification de corporatisme, puisque l'innovation sur fond de numérique n'est l'apanage d'aucun secteur (comme le soutient le Cigref depuis des années) et qu'une large partie de ces emplois sont disséminés dans des PME. « Donc peu visibles », souligne Gilles Babinet.
Justement : que fait le Conseil national du numérique ? Il milite dans les antichambres du Pouvoir. « En face de l'inspection des finances, par exemple, nous sommes amenés à traiter de l'innovation au sens large », confie Gilles Babinet, tout en insistant sur l'urgence de mettre le paquet sur les domaines de spécialisation à fort potentiel. « A force de marteler le message autour des enjeux économiques, on a l'impression qu'il commence à passer auprès des décideurs et des élus ». Un des chevaux de bataille actuels du CNN (outre le focus sur la jeune entreprise innovante): le rapprochement du monde universitaire de l'entreprise, notamment au travers des Idex (initiatives d'excellence, pôles pluridisciplinaires de recherche et d'enseignement de rang mondial)
En 2012, une option Informatique et sciences du numérique au bac
Plus concret et immédiat, l'association Pascaline oeuvre sur le terrain pour promouvoir les métiers du numérique auprès des lycéens et de leurs parents, voire de leurs conseillers en orientation ! Tant il en est encore et encore grand besoin. «Le problème n'est pas dans leur usage personnel de l'informatique », plaide Jean-Louis Bernaudin, délégué général. « Ils ne savent pas à quoi cela rime dans une entreprise, et n'ont aucune idée de l'éventail des métiers et des débouchés qui leur sont largement ouverts », comme l'a montré encore la semaine dernière la flopée de questions teintées d'inquiétude lors d'une présentation au salon Postbac. Bonne nouvelle de fin 2011 : l'Education nationale a acté l'ouverture d'une option Informatique et sciences du numérique au lycée organisée dès la rentrée 2012 au niveau du bac. Une option ISN à laquelle Pascaline et l'Inria, sont associées pour préparer les enseignants volontaires à passer à l'action, sur la base d'un programme qui devrait être défini d'ici la fin du premier trimestre.