Megaupload : la première cyberguerre civile ?
En fermant brutalement plusieurs sites accusés de contribuer au piratage d’oeuvres de l’esprit, les États-Unis viennent-ils de lancer le premier conflit armé d’Internet ? La question se pose d’autant plus que les actions lancées par le collectif des Anonymous sont violentes et radicales.
C’est au matin de ce vendredi 20 janvier qu’une grande partie du monde a appris la nouvelle : le FBI a fait fermer Megaupload et plusieurs sites Web connexes. Une fermeture décidée à titre conservatoire alors que la Justice américaine engagent des poursuites à l’encontre de Kim Dotcom, créateur de la galaxie Mega, l’accusant, avec d’autres, d’infraction au droit d’auteur et de blanchiment d’argent. Pour obtenir ces fermetures radicales, la justice américaine a agi directement sur les serveurs DNS racines. Un procédé dénoncé par Neelie Kroes, commissaire européenne chargée des nouvelles technologies, et qui relance la question du contrôle des États-Unis sur ces serveurs et, de facto, sur Internet. À ce titre, les propos de Rod Beckstrom, le patron de l’Icann, en septembre 2010, à Vilnius, paraissent d’une actualité criante : appelant à plus d’autonomie et d’indépendance pour son institution, il expliquaient que «si la gouvernance [d’Internet] devait devenir une prérogative exclusive des Etats, ou être l’otage d’autres intérêts, nous perdrions les fondations du potentiel à long terme d’Internet et de sa capacité de transformation ». De son côté, l’Afnic, qui gère le .fr, n’a pas manqué elle-même de s’inquiéter d’une démarche «unilatérale ». De fait, si la procédure judiciaire est lancée outre-Atlantique, le monde entier est concerné. Jérémie Zimmermann, de la Quadrature du Net, y dénonce une «ingérence dans l’architecture d’Internet ». Dans les colonnes du Point, Benjamin Bayart, de l’opérateur alternatif FDN, relève quant à lui que la méthode retenue par la Justice américaine est «d’autant plus surprenant[e] que lorsque la police française essaie de faire fermer un site pédophile, il y a deux pays où elle n’y arrive pas : la Russie et les États-Unis».
Le DDoS, arme de disruption massive
Mais la réaction du collectif des Anonymous ne manque pas non plus de soulever de sérieuses questions. Pour sympathiques que certains puissent les trouver, ils ont montré, en saturant - par une attaque en déni de service - les sites Web d’Universal et de Sony, notamment, que quelques individus peuvent, à l’aide d’outils simples et bien connus, bloquer une partie de l’activité d’entreprises. Leurs attaques contre certains sites institutionnels - à commencer par ceux des associations des industries culturelles américaines MPAA et RIAA, ou encore ceux de l’Hadopi, du ministère de la Défense et de l’Élysée en France, après que le Président de la République a exprimé toute satisfaction à voir fermé Megaupload - soulèvent d’autres questions, plus fondamentales. A commencer par celle du respect de la démocratie représentative. En outre, dans des sociétés où le rapport aux administrations se dématérialise de manière croissante, c’est la capacité des citoyens à interagir avec celles-ci qui est menacée par des blocages comme ceux du site Web de l’Hadopi ou encore du service de paiement en ligne des amendes, également attaqué par le collectif. Comme le relève Numerama, «la procédure de labellisation de l’offre légale par l’Hadopi prévoit que le label est accordé d’office aux demandeurs, sauf lorsque des ayants droit s’opposent par écrit dans un délai de 4 semaines ». Mais pour cela, ils doivent passer par... le site Web de l’Hadopi. Et nos confrères de s’interroger : «quel est l’effet juridique induit par l’indisponibilité du site Internet d’une administration ?»
Vers une réaction violente des États ?
Face à l’action du collectif des Anonymous, il est difficile d’imaginer que les États resteront les bras ballants. Même si, comme Benjamin Bayart le souligne, la fermeture de Megaupload ne s’est appuyée sur aucune législation ad hoc comme les très controversées SOPA et PIPA, il y a fort à parier que les tenants d’un Internet «civilisé» ne manqueront pas d’utiliser les actions des Anonymous pour pousser un encadrement plus étroit d’Internet et de ses usages. Muriel Marland-Militello, député UMP des Alpes-Maritimes, n’a pas manqué elle aussi de saluer la fermeture de Megaupload, sur son blog - lui aussi actuellement indisponible... -, estimant au passage qu’il «faut aller plus loin et agir pour l’internet civilisé [...] réguler de manière plus fine, par exemple au moyen d’une autorité administrative indépendante, des protocoles cryptés pour concilier sécurité des données et des transactions avec la nécessaire lutte contre la délinquance et la criminalité. C’est le devoir des Etats de droit libéraux !» Les spécialistes de la sécurité et les défenseurs de la vie privée apprécieront.
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