Cebit 2012 : Sur la question des données privées, Eric Schmidt choisit de faire l'autruche

Lors de la cérémonie d'ouverture du Cebit, le thème était la confiance numérique. Tous les intervenants à commencer par les chefs d'Etats ont ainsi mis en avant la nécessaire protection des données privées. Eric Schmidt, le président de Google, a balayé ces préoccupations en 30 secondes pour se livrer à un exercice surréaliste de prospective. Pour lui, nul besoin de s'inquiéter : la technologie va rendre le monde meilleur...

La cérémonie d’ouverture du Cebit 2012 qui se tenait au centre des congrès d’Hanovre ce lundi a accueilli deux chefs d’États, La chancelière allemande Angela Merkel et la présidente brésilienne Dilma Roussef, ainsi qu’un hôte de marque en la personne d’Éric Schmidt, le président de Google. Thème de cette cérémonie : « Managing Trust »,  ou comment gérer la confiance dans un monde de plus en plus numérique.

La confiance et la protection des données privées au coeur du débat

Alors que le débat fait rage sur la protection des données privées sur Internet, le ministre président de la région de Basse Saxe (dont la capitale est Hanovre) a ouvert les hostilités dans son discours de bienvenue aux participants : « alors qu’Internet s’infiltre de plus en plus dans la sphère professionnelle, dans celles des administrations et des services gouvernementaux, la question de la sécurité et de la confiance dans le monde numérique devient de plus en plus importante et est sujette à un intérêt croissant. (…)Pourtant aussi enthousiasmant que soit le potentiel de l’Internet et des réseaux sociaux en tant que plates-formes d’information et de communication, leur développement ne doit pas se faire aux dépens de la vie privée ou des lois sur la protection de la propriété intellectuelle.»

Enchaînant derrière le ministre, Dieter Kempf, le président du Bitkom, le très puissant syndicat professionnel de l’industrie IT allemande – homologue de Syntec Informatique - s’est fait encore plus clair : « il est inacceptable qu’un utilisateur grand public découvre, par surprise et sans recours, des changements profonds dans les conditions d’utilisation [par un fournisseur de service] de ses données personnelles». Une allusion à peine voilée aux récentes modifications imposées par des services en ligne comme Google et Facebook à leurs utilisateurs.

Le patron de Google muet sur la protection des données privées

Le patron de Google étant présent dans la salle tout le monde s’attendait donc à ce qu’il profite de son keynote pour tenter d’expliquer la position de la firme en la matière. Et le moins que l’on puisse dire est que les participants à la cérémonie sont largement restés sur leur faim. Car plutôt que d’aborder le sujet, Schmidt l’a immédiatement balayé d’un revers de la main. Et par balayer d’un revers de la main, on parle d’une manœuvre de surface de grand art : « nous sommes réunis ici pour parler de la confiance dans la technologie, mais cette confiance ne peut exister que si cette technologie a d’abord émergé », a entamé Schmidt. On se disait enfin que l’on allait entrer dans le vif du sujet. Perdu. De confiance, il ne serait plus question dans le discours du patron de Google, qui allait se lancer pendant plus d’un quart d’heure dans un discours surréaliste sur l’innovation.

 schmidt
Eric Schmidt, président de Google
au Cebit

Quand Schmidt rêve d'un monde meilleur...

Et le « pasteur méthodiste » Schmidt d’expliquer à une assemblée médusée comment la technologie va rendre le monde meilleur, comment les réseaux vont démocratiser la planète,  et comment les smartphones vont contribuer à faire chuter les dictatures, abolir les crises, les famines et épidémies. Schmidt n’a toutefois pas promis l’égalité, séparant le monde en trois groupes, les ultra-connectés - occidentaux et "riches" -, une classe intermédiaire et une classe de « have nots » - dans les pays émergents - équipés en majorité de smartphones. On a au passage appris une nouvelle équation - on l’appellera la loi de Schmidt - qui prétend que la puissance des smartphones va être multipliée par 20 en 12 ans et qu’en conséquence, un smartphone qui vaut 400 € aujourd’hui n’en vaudra plus que 20 d’ici 12 ans… À la rédaction, on cherche encore la relation entre puissance et prix…

« La dernière décennie nous a appris que si l’on connecte les gens avec l’information, ils vont changer le monde », a enchaîné Schmidt. « Ceux qui prédisent que les robots intelligents, la réalité virtuelle ou les voitures robotisées vont rapidement devenir une réalité, ont raison. Ces technologies vont redéfinir la façon dont nous vivons et interagissons ensembles.» 

Et Schmidt d’évoquer l’holoprésence et de rêver d’une ère où les utilisateurs pourront être virtuellement présents sur les marchés de Marrakech, ou assister en direct aux élections en Corée du Nord lorsque ce pays aura ses premières élections libres (sic). Le réseau permettra de combattre la propagande d’Etat explique Schmidt, en évoquant les soucis qu’a eu le gouvernement chinois à censurer la couverture des accidents de trains à grande vitesse l’an passé dans le pays et en mentionnant les informations publiées par les résistants syriens. « Le web est plus qu’un réseau de machines explique Schmidt, c’est un réseau d’esprits qui évolue vers une intelligence collective et une conscience globale ». Gaïa n’était pas loin au Cebit…

« Il y aura des élites qui n’auront pas le monopole sur le progrès et sur les opportunités. La technologie sera un grand égalisateur. Les faibles seront rendus plus forts et ceux qui n’ont rien, auront un peu. Alors nous aurons non seulement confiance en la technologie mais aussi dans le futur. D’une certaine façon, nous serons tous plus égaux », a terminé Schmidt. Alléluia la messe était dite. Et le patron de Google de conclure qu’il ne sera pas possible de censurer le web et que les citoyens pourront toujours contourner les barrières. Comme quoi on peut être milliardaire et un tantinet anarchiste...

Mauvaise semaine pour Facebook et Google en Allemagne

Pas sûr, que cela ait rassuré les dirigeants présents à la cérémonie, Angela Merkel profitant de son intervention derrière Schmidt pour rappeler l'importance qu'accorde le gouvernement allemand à la protection de la vie privée. D'ailleurs les mauvaises nouvelles se sont accumulées le lendemain pour les géants de l'Internet en Allemagne. Une cour allemande a ainsi jugé que les conditions d'utilisation des données privées et de la propriété intellectuelle de Facebook violent la loi allemande. Et le gouvernement allemand a mis au programme du parlement le débat sur une « taxe Google » (la « lex google ») visant explicitement Google News et les services similaires. L’objectif est de taxer les services de liens vers les sites d’information en ligne afin d’aider au financement de la presse, dont les acteurs considèrent les services d’agrégation comme des prédateurs générant « illégalement » des revenus sur leur dos. La loi est toutefois combattue par une large coalition d’acteurs de la technologie et de l’Internet et certains lui prédisent toutefois un avenir funeste si elle venait à être votée car elle pourrait être jugée anticonstitutionnelle par la cour de Karlsruhe.

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