Inde : en zone rurale, les banques s'informatisent pour lutter contre la pauvreté
Favoriser l’inclusion, amener les populations rurales à embrasser la transformation de l’Inde et échapper à la pauvreté. Ce sont les objectifs affichés d’initiatives en faveur de l’accès aux services bancaires et à des crédits subventionnés par l’Etat dont l’informatique est l’une des clés de voute.
Il faut compter une bonne heure d’une autoroute presque vide, désespérante, traversant de vastes espaces semi-désertiques, pour atteindre le village de Dandumailaram depuis Hyderabad. Nous sommes ici dans l’Andhra Pradesh, dans l’est du pays, au nord de Bangalore et de Chennai. Dandumailaram compte quelques milliers d’habitants d’une population encore fortement agricole. Et coupée du monde, ou presque. Enfin, du moins pourrait-on être tenté de le penser. Ici, certains réseaux mobiles ne passent pas, comme celui de l’opérateur public BSNL. D’autres oui, comme celui d’Airtel qui fournit des téléphones publics GSM, sur la façade des échoppes. Pas de ligne fixe ici. Pas de 3G non plus, qui s’est pourtant bien développée dans les grandes agglomérations du pays en l’espace de seulement un an.
Sur la route, nous nous arrêtons au niveau de l’entrée d’un parc de loisirs au design improbable, construit il y a quinze ans et fortement marqué par le temps, Mount Opera. Nous retrouvons Suresh Kumar, de C-Edge. Pourquoi venir jusqu’ici ? Tata Consultancy Services (TCS) nous a proposé de venir y découvrir le travail d’une co-entreprise établie en partenariat avec la banque centrale indienne, la RBI : C-Edge, justement.
Moderniser les banques rurales
Cette entreprise travaille à la modernisation de l’équipement des banques rurales. Car Dandumailaram a sa banque. Un petit bâtiment modeste où le caissier, dépositaire des précieuses roupies, passe le plus clair de sa journée enfermé dans sa cage de bois et d’acier. Les identités sont vérifiées sur la base des cartes d’électeur et de rationnement - en attendant, peut-être, un jour, la généralisation de la carte d’identité biométrique. Le directeur du bureau explique : avant, beaucoup de choses se faisaient par papier uniquement, avec les soucis qu’on imagine. L’informatisation est venue mais avec sa cohorte de problèmes : «l’application du moindre changement réglementaire ou commercial était compliqué. Vous savez, ici, tous les employés sont dans la cinquantaine et découvrent l’informatique.» Bref, les compétences nécessaires ne sont pas disponibles.
C-Edge propose une solution alternative : une application bancaire hébergée, exploitée dans les centres de calculs de TCS et à laquelle le personnel de la banque accède à distance, par le réseau. Quel réseau serait-on tenté de penser ? Une liaison satellite bidirectionnelle. Plus fiable, plus simple et moins coûteuse que tout autre solution de connectivité. Finis, ainsi, les problèmes de maintenance logicielle et la banque rurale peut profiter d’outils modernes et adaptés à ses missions.
Simplifier la maintenance
Reste la maintenance matérielle. Là, pas question de passer par de grands spécialistes - «ils mettraient trop de temps à venir jusqu’ici», explique-t-on. En cas de problème, on ira donc chercher dans les ressources locales, comme un jeune diplômé ou même un étudiant : «après tout, ce ne sont que des ordinateurs de bureau», explique-t-on. Des PC sous Windows, en effet. Cette recherche de simplicité dans la maintenance contribue à justifier le choix d’ordinateurs de bureau plutôt que de portables quand bien même ceux-ci disposent de leurs propres batteries et résistent mieux aux (nombreuses et longues) coupures d’électricité. Ici, c’est un générateur diésel, comme un peu partout en Inde, qui permet d’y faire face. En fait, le principal ennemi de l’informatique, ici, c’est la poussière. Plus dangereuse que la chaleur. Et pourtant, en cette fin de matinée, on flirte déjà avec les 40°C à l’ombre. Et la banque n’est pas climatisée.
Plus loin, la solution de C-Edge va permettre de lancer des services bancaires mobiles. Lors d’une rencontre fortuite à Pune, l'an passé, des kenyans avaient présenté un service identique : une application qui leur permet de demander à leur banque de leur mettre à disposition de petites sommes en liquide chez des commerçants. C’est au programme ici aussi.
Réduire la pauvreté
Mais pourquoi donc développer des services bancaires pareils dans une zone aussi reculée et, d’une certaine manière, aussi éloignée des besoins créés par l’urbanisation et l’occidentalisation des modes de vie ? Pour gérer l’octroi de crédits subventionnés par l’Etat. Celui-ci propose aux personnes vivant sous le seuil de pauvreté des crédits d’un montant de 30 000 à 500 000 roupies pour développer leur activité. De plus, selon la RBI, ce sont plus de 70 000 villages - d’une population de plus de 2000 habitants - qui ont besoin d’un accès aux services bancaires.
Le but poursuivi étant de réduire la pauvreté. Un sujet qui fait débat dans le pays. La Commission de Planification vient ainsi de présenter son état des lieux, assurant chiffres en main que la pauvreté a reculé de 7,3 points entre les années 2004-2005 et 2009-2010 pour atteindre 29,8 % de la population. En zone rurale, le recul a été plus rapide, de 8 points, pour atteindre 33,8 %. Le signe de réussite de tels programmes ? Pas sûr, selon certains, qui regrettent que soient considérés comme pauvres les personnes vivant avec moins de 22,43 roupies par jour en zone rurale - environ 3 euros - et 28,65 roupies en zone urbaine : ces seuils étaient préalablement plus élevés; le gouvernement lui-même prévoyait précédemment de les établir à 26 roupies en zone rurale, et 32 roupies en zone urbaine, à compter de juin 2011. Selon le parti d’opposition BJP, le gouvernement n’a pas défini de nouveaux seuils de pauvreté mais a tracé «une ligne de la famine».
Les femmes en première ligne
Les femmes sont au coeur du dispositif. Celui-ci les incite notamment à travailler pour apporter un complément de revenu au foyer. Des activités variées - commerce, agriculture, etc. - qu’elles traitent en auto-gestion avec l’aide de référentes qui jouent le rôle de comptables pour des groupes d’une dizaine de personnes. S’il est difficile de mesurer l’impact réel de tels dispositifs sur la vie de ces femmes et de leurs familles, celles de Dandumailaram semblent apprécier ces nouvelles sources de revenu. Et tout particulièrement parce qu’elles ouvrent de nouvelles perspectives pour la scolarité des enfants. Un point essentiel ici : pour la plupart des indiens, les enfants sont la clé des ressources de la retraite.