Big Data : des milliers d'emplois en perspective aux confins de la technique et du fonctionnel
En France, moins d'une entreprise sur dix y voit actuellement un enjeu de compétitivité. Mais dès 2013-2014, le Big Data devrait amorcer une profonde mutation dans l'approche du décisionnel. A la clé, un fort appel à compétences, dont les fournisseurs et prestataires commencent -pour leur part- à se préoccuper.
Outre-atlantique, la chasse aux compétences « Big Data » est ouverte. D'ici à 2018, pas moins d'un million et demi de managers américains pourraient être concernés, selon l'estimation du cabinet McKinsey (rapport de mai 2011). Et auprès d'eux, jusqu'à 190 000 « pro » du décisionnel, développeurs experts, architectes SI, consultants métiers et surtout « data scientists ». Déjà, sur le créneau du BI (Business Intelligence), les salaires grimpent (cf. le dossier sur « la guerre des talents Big Data » publié par Information Week).
Qu'en est-il dans l'Hexagone ? Tout juste un frémissement d'intérêt. « La gestion des gros volumes de données -ou Big Data- n'est encore guère identifiée comme un enjeu pour la compétitivité de l'entreprise», résume l'étude de Markess International («De l'information à la prise de décision », mai 2012). Etude selon laquelle les décideurs français interrogés (un échantillon de 198 entreprises) mettent encore la priorité sur l'amélioration et l'optimisation des usages du décisionnel classique, tout en s'avouant interpellés (un tiers d'entre eux) par l'usage qu'ils pourraient faire des nouveaux flux de données (Internet, mobile, au delà des ERP et du CRM).
En tête de la feuille de route des fournisseurs et prestataires
A l'inverse, une majorité des prestataires représentés dans cette étude placent le Big Data, l'analyse de données non structurées et l'évolution de leurs solutions et services (fonctions analytiques et de restitution) en tête de leur feuille de route d'ici à 2014. Quoi d'étonnant ! Face à la profusion de sources d'informations utiles à la prise de décision opérationnelle, l'équipement en « décisionnel » (solutions, services et compétences) ne saurait rester en l'état. D'ailleurs, un tiers des décideurs des entreprises interrogées anticipent une hausse de budget dédié à l'analytique et au décisionnel dans les deux ans à venir (étude Markess). Dont une bonne part pour une amorce de projets Big Data.
Confirmation chez le champion de l'intégration de données Informatica : «pour un client grand compte sur trois, la réflexion est en cours, qui devrait déboucher sur des projets concrets en 2013-2014 », observe Bruno Labidoire, directeur technique d'Informatica pour l'Europe du Sud. Certes, il y a « un fond de lassitude par rapport aux promesses non tenues des vagues successives de technologies », constate Bertrand Frot, associé de Keyrus Management, « mais l'intérêt pour les apports business du Big Data est bien là ».
Parallèlement, les décideurs concernés sont conscients que leurs entreprises ne sont pas encore équipées en conséquence : non pas en termes de solutions logicielles ou de capacités de stockage, mais bien en termes de compétences.
Un consensus se fait, parmi les fournisseurs et prestataires, autour des profils indispensables à ces nouvelles approches de traitement et de gestion des données.
D'abord sur le volet technique. Au sein des écosystèmes émergents autour des outils de traitement des flux de données (Hadoop, Map Reduce), un appel est lancé vers les développeurs Java expérimentés, pour qui, selon Bruno Labidoire (Informatica), la courbe d'apprentissage (formation, mise en pratique) peut s'étaler sur un à deux mois. Outre-atlantique, il se dit que les pionniers de l'exploitation du big data (Google, Facebook, eBay, etc) font un pont d'or à ces profils recherchés.
Un débouché porteur pour les développeurs Java et les start-up spécialisées
« De tels projets peuvent monter très vite en puissance. Et l'éventail des technologies impliquées évoluent sans cesse », relève Bertrand Frot (Keyrus). D'où la tangente prise par les sociétés prestataires, faute de trouver d'emblée de tels profils sur le marché, en reprenant (par fusion-acquisition) des équipes déjà positionnées sur ce créneau (les 40 experts de la start-up Vision BI reprise par Keyrus l'an dernier, par exemple) et capables de relayer rapidement les connaissances nécessaires auprès des développeurs intéressés. Chez Oracle, Microsoft, IBM, HP, SAP, Teradata ou autour d'Hadoop, les formations techniques ne manquent pas. « Deux-trois jours de perfectionnement ici et là : en deux semaines, un développeur expérimenté peut se constituer un bon terreau de savoir-faire pour un projet big data».
Le même style de courbe d'apprentissage est attendue de ceux appelés à travailler sur la qualité des données (profils de développeurs étoffés de compétences linguistiques) et sur l'organisation des données (architectes de système d'information pour savoir où positionner et d'où extraire les données). « D'autant plus que ce genre de projets relève d'organisation instable, faite pour durer le temps de répondre à un besoin business », souligne Bertrand Frot. Chez les fournisseurs également, ce sont les profils d'architectes qui ont la plus grosse cote. « Difficiles à dénicher. En trois à six mois via la chasse de têtes », confie Bruno Labidoire.
Vers 20 000 à 30 000 « pro » du big data en France
Pour autant, là n'est pas le plus grave déficit de compétences en perspective. Car les outillages en question sont conçus pour faciliter ces traitements amont (à coup de modélisation graphique, notamment). Et réduire d'autant le besoin (en nombre) de développeurs. Le plus grand frein à l'éclosion des projets big data vient de l'aval : « d'un déficit flagrant de culture de la donnée », résume Mouloud Dey, directeur Business Solutions chez SAS. Un déficit qui se mesure notamment au faible contingent de professionnels formés et embauchés par les entreprises pour tirer parti de l'analyse des données. D'où les quelques 190 000 postes d'« analystes BI » et de « data scientists » à pourvoir annoncés par le rapport McKinsey pour les seules entreprises américaines. Qui ne se privent pas d'attirer les talents des autres continents -dont les matheux français.
« En France, on peut tabler à terme sur 20 000 à 30 000 professionnels impliqués », estime Mouloud Dey. Et d'ajouter, « jusqu'à présent, on confie cela à des statisticiens ou à des personnes formées aux méthodes scientifiques de gestion. Mais leur activité est très peu valorisée. Issus de l'université, ils travaillent dans l'ombre, perçus comme des chercheurs, embauchés à l'unité plutôt que par dizaines, sauf, peut-être, dans le secteur de la finance ».
Mais d'où doivent émerger ces « pro » du big data, habiles à monter rapidement des modèles analytiques susceptibles de dégager des informations pertinentes, des tendances, et d'orienter un traitement de données ? Bref, « d'être intelligent avec le service marketing, avec la direction commerciale, avec la direction des achats ou le contrôle de gestion », comme le résume Bertrand Frot. Ils devraient émerger précisément de l'association des savoir-faire de modélisation (statisticiens ou data scientists, selon la terminologie de McKinsey) associés à une compréhension des besoins des métiers. Et si le secteur de la finance a été le plus prompt à embaucher ces experts en modélisation prédictive, c'est non seulement dû au degré de criticité de l'usage des données (structurées et non structurées) fait dans ce secteur (de l'influence d'une rumeur sur un cours de bourse, par exemple), mais aussi parce que le monde des « traders » qui s'est construit autour du même genre de compétences en modélisation, a montré la voie.
Aussi recherchés que les « traders »
«Que ce soit dans la grande distribution, chez les opérateurs télécom ou dans le secteur public, on voit poindre un intérêt pour ces profils d'analystes BI ou big data à triple culture, informatique, modélisation mathématique et culture économique au sens large, qui n'auront pas forcément la même image que les traders, mais sont promis à un bel avenir », avance Mouloud Dey. De plus, « une adhésion au big data s'avère un excellent briseur de barrières, de silos, à l'intérieur des entreprises », renchérit Bertrand Frot (Keyrus Management). Histoire de rappeler que ce type de projets (tirer bénéfice des données du CRM, des réseaux sociaux, etc) est le plus souvent transverse (commercial, marketing, logistique, communication, contrôle de gestion). Et fait appel, de ce fait, à des architectes capables d'organiser, de tenir les rênes, d'une telle transversalité. Aux confins, là encore, de la technique et du fonctionnel. Même constat, en amont, chez les fournisseurs de solutions, appelés du fait de la jeunesse du marché, à jouer la carte du conseil: sur la cinquantaine de personnes de l'équipe d'Informatica en France, une vingtaine ont le profil de consultants techniques ou d'architectes.
Sur ce thème:
-Big data : the next frontier for innovation (au sujet du rapport McKinsey, mai 2011)
-L'étude de Markess International « Référentiel de Pratiques : De l'information à la prise de décision : nouveaux modes d'accès et d'analyse pour la performance du business - France, 2012-2014 », à télécharger gratuitement contre qualification
-Big Data, Big Analytics : un livre blanc de SAS
-Big data : pénurie de main d'oeuvre et formation, deux enjeux de l'analytique (leMagIT)
-Quel est le paysage technologique du Big Data ? (Solucom Insight)