Datacenters et création d'emplois : une équation à multiples variables
Le lancement d'un data center rime-t-il avec création d'emplois ? Réponses nuancées des acteurs concernés, selon le type de data center, sa localisation, son équation économique. Une chose est sûre : les spécialistes de l'alimentation électrique et de la sécurité sont autant, voire plus, recherchés que les informaticiens.
Une friche industrielle, un noeud de réseau à très haut débit à proximité : tels sont les éléments mis en exergue par l'hébergeur OVH dans son choix d'investir 180 millions sur six ans pour installer son neuvième datacenter à deux pas des industries lourdes de Dunkerque. De là à parler d'une implantation d'activité source d'emplois ! C'est le pas que franchit Global Switch en présentant son campus parisien comme un « exemple de ré-industrialisation réussie » qui « développe l'emploi au coeur des villes ».
Certes, l'annonce d'OVH se double d'une communication autour de son plan de recrutement : 500 embauches d'ici à 2015. Mais à y regarder de plus près, le nouveau site nordiste ne devrait occuper qu'une cinquantaine de personnes (à terme) et une dizaine cette année. L'objectif « 500 embauches sur trois ans » va de pair avec l'implantation de bureaux à Paris, Strasbourg, Lyon, Brest, Sophia Antipolis et Gand. Histoire de se rapprocher des clients mais aussi des viviers d'ingénieurs et de techniciens supérieurs. «Il est de plus en plus difficile d'attirer les bons profils d'administrateurs systèmes et de développeurs à Roubaix », explique Soushila Mookien, DRH du groupe OVH, « il faut aller les chercher ». D'où cet objectif de renforcer l'effectif (au total 350 personnes en France) par des équipes de proximité (« 10 à 15 ingénieurs et techniciens par bureau », précise la DRH), virtualisation des opérations aidant. Entendons bien : ce n'est donc pas le fonctionnement au quotidien des centres de données (au sens, salles informatiques) qui génère cet appel d'air mais plutôt les services associés. Faire tourner les 120 000 serveurs hébergeant actuellement les sites web et applications des clients occupe moins de techniciens (une soixantaine) que répondre à la demande qui implique 200 à 300 installations de serveurs par jour (selon le pdg Henryck Klaba, cité par les Echos). Peu importe où travaillent ces installateurs-administrateurs. De préférence, là où il est plus facile d'attirer de nouvelles recrues. Ikoula, autre hébergeur en croissance à deux chiffres, suit la même logique en implantant ses centres et équipes d'administrateurs à Reims, à proximité de cursus (écoles, IUT, BTS).
Autour des capitales européennes
Tout autre est le positionnement -y compris en matière d'emplois -de Global Switch, Digital Realty Trust, Interxion, et plus généralement des grands data centers mutualisés (hébergement des plateformes informatiques de grandes entreprises, multinationales). Les raisons de la localisation sont semblables (forte capacité énergétique et noeuds de réseau des opérateurs télécom). Ce qui suffit à justifier leur concentration autour des capitales européennes, dont Paris (localisation privilégiée, selon un sondage réalisé en 2011 pour Digital Realty Trust auprès de 205 grandes entreprises). S'y ajoutent les exigences des clients. « Ils veulent qu'on leur fournisse un écrin le plus fiable possible pour leurs plateformes, mais à moins de 30 kilomètres de chez eux, capacité des réseaux oblige», commente Yves Tavernier, directeur général de Global Switch France. La démarche de ce type d'opérateurs ne repose pas non plus sur des équipes importantes en nombre : chez Global Switch, 25 ingénieurs pour le pilotage d'un campus de 48 000 mètres carrés, 50 personnes pour la maintenance 24/7 de l'infrastructure physique (30% d'ingénieurs, 70% techniciens supérieurs). Alors pourquoi parler de ré-industrialisation, voire de contribution à l'animation d'un bassin d'emplois ?
On conçoit que construire et piloter une installation hyper-sécurisée, ultra-redondante, consommant des dizaines de megawatts (« autant qu'une ville de 50 000 habitants », selon Fabrice Coquio, président d'Interxion France) et dont 75% des coûts relèvent de ces équipements, repose sur les compétences de pointures en génie électrique, en génie climatique, en urbanisation ou optimisation de l'infrastructure mise à disposition des directions informatiques clientes. Mais aussi sur un écosystème d'opération et de maintenance de haute technicité. Pour les six datacenters parisiens d'Interxion, aux côtés de ses 80 salariés (dont 72 cadres) intervient une soixantaine de techniciens en sous-traitance. Le tout dans un dialogue constant entre la partie infrastructure et la partie informatique, dans un climat de culture hybride (facility management, production informatique). Sans oublier les exigences de sécurisation du site, qui plus est en milieu urbain. Ce qui occupe, chez Global Switch Paris, une équipe de seize personnes (prestataire) sous la houlette d'un responsable sécurité (Sun Sundareswan) recruté chez HP (EDS).
Une sorte de pépinière d'entreprises
« Un campus comme le nôtre, c'est aussi un jeu de poupées gigognes, avec nos emplois directs, ceux des prestataires in situ qui ajoutent la couche de services spécialistes réseaux, administrateurs des infrastructures informatiques intervenant au quotidien », relate Yves Tavernier. La location de surface technique en fait de plus une sorte de pépinière d'entreprises qui, selon lui, permet à des petites équipes d'ingénierie informatique d'avoir accès à une clientèle de grands comptes qui ne les auraient peut-être pas repérées autrement. Soit au total, un ensemble d'emplois, dont la présence in situ est d'autant plus recherchée par les opérateurs de datacenters et appréciée des entreprises hébergées que les exigences en réactivité (à tous égards) tendent à s'accroître. « Les responsables informatiques ont si peu de visibilité qu'ils hésitent longtemps avant d'opter pour un hébergement, et quand ils se décident, il faut aller très vite, aménager en moins de trois mois l'espace dédié», constate le dirigeant de Global Switch.
Mais en définitive, s'agit-il de création nette d'emplois ? Ou d'un simple transfert, des salles informatiques gérées en interne vers des structures industrialisées avec, au contraire, réduction d'effectif des équipes côté informatique? « Héberger les données des entreprises est un vrai métier qui exige un vrai savoir-faire » ; « Les packages de gestion de l'infrastructure du datacenter ne réduisent pas la taille des équipes d'administration. A effectif constant, l'automatisation autorise plus de complexité », lit-on dans le compte-rendu du récent congrès Datacentres 2012. Où est évoquée également une évolution de la répartition des tâches contractualisées (entre les équipes de l'hébergeur et des prestataires de services). « Ce qui intéresse les DSI clientes, ce n'est pas forcément l'externalisation du personnel informatique, mais profiter d'un environnement optimisé, géré de façon plus experte, et surtout beaucoup plus sécurisé », observe Fabrice Coquio. Autrement dit, une réponse en « ni-ni » : pas forcément plus d'emplois à la clé, ni moins d'ailleurs, ni un transfert systématique. Mais en tout cas, une montée en compétences.
80% des interventions à distance
A voir la fréquentation des congrès et séminaires dédiés (début juin, Data Center Dynamics à Paris, puis Datacentres 2012 à Nice) et la dynamique de clubs (le CESIT, comité des exploitants de salles informatiques, le CRIP, club des responsables d'infrastructures et de production, dont la convention 2012 vient de réunir à Paris 2000 professionnels), cette montée en compétences concerne aussi les centres de données des entreprises. C'est le troisième cas de figure : les salles blanches des entreprises (infrastructures non mutualisées) et/ou des prestataires d'infogérance, qui représentent près des trois-quarts des datacenters. La question étant alors, à l'heure du cloud et de la virtualisation à tout va, quel sort attend les personnels exploitants (internes ou prestataires) ? Regain d'effectif ou au contraire encore moins de postes ? Des emplois de proximité ou au contraire encore plus délocalisables ?
« L'équation économique n'est pas la même », complète Fabrice Coquio. A commencer par les paramètres de la consommation énergétique, et de l'accès aux backbones télécoms dans les meilleures conditions, cruciaux pour les très grands hébergements mutualisés. Alors, que du côté des DSI gérant leurs propres salles ou des infogéreurs, peut primer la possibilité de s'implanter là où le mètre carré est moins cher, mais proche néanmoins des viviers de compétences. Réponse nuancée (et chiffrée!) de Luc De Clerck, directeur des services d'Econocom en France : « on aura toujours besoin d'une équipe technique sur site ». La règle connue dans le milieu des infogéreurs étant de 4 personnes pour 250 mètres carrés de salle blanche. Mais virtualisation et réseaux aidant, « 80% des interventions sur les serveurs ou sur les baies peuvent se faire à distance ». Autrement dit, une activité confiée aux centres de services, proches ou non des infrastructures. Pour ses activités d'infogéreur/gérant de datacentres, Econocom prévoit d'augmenter les équipes des centres de services (60 personnes à Tours) de 15 à 20%, comme pour l'ensemble de sa division Services (150-200 embauches en 2012).
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