Logiciel d’occasion : l’UE confirme la légalité et étend le concept aux logiciels téléchargés
Dans un procès qui opposait Oracle à la société suisse UsedSoft, spécialiste de la revente de logiciels de seconde main, la grande chambre de la cour européenne de Justice a rejeté les arguments d’Oracle, selon lesquels le droit d’épuisement ne portait pas sur un logiciel téléchargé. Une avancée clé qui pourrait doper l'achat et la revente de logiciels d’occasion en Europe.
Un des derniers verrous à la revente de logiciels d’occasion vient de sauter en Europe. Dans le cadre d’un procès qui opposait Oracle à la société suisse UsedSoft, la grande chambre de la cour européenne de Justice a tranché en faveur de la société européenne, estimant que le droit d’épuisement d’un logiciel était également valable pour les logiciels ayant été téléchargés sur Internet. Infligeant ainsi une gifle à Oracle dans son combat contre la vente en seconde main de ses applications.
Dans son arrêt du 3 juillet, la cour de justice a ainsi confirmé que le droit exclusif de distribution d’un copie de logiciel est épuisé dès sa première revente, que ce logiciel ait été acheté sur un support physique de type DVD ou qu’il ait été téléchargé sur Internet.
«Le droit de distribution de la copie d’un programme d’ordinateur est épuisé si le titulaire du droit d’auteur, qui a autorisé, fût-il à titre gratuit, le téléchargement de cette copie sur un support informatique au moyen d’Internet, a également conféré, moyennant le paiement d’un prix destiné à lui permettre d’obtenir une rémunération correspondant à la valeur économique de la copie de l’œuvre dont il est propriétaire, un droit d’usage de ladite copie, sans limitation de durée», écrit la cour.
Le droit d’épuisement forme la base juridique du commerce de logiciels d’occasion. Ce principe est inscrit dans la directive 2001/29/UE qui est donc valable pour tous les pays de l’UE. Cette directive s'applique aussi au logiciel depuis 1993. Selon ce principe, le droit d’auteur d’un fabricant de logiciel s’épuise avec la vente de la marchandise. L’éditeur ne peut donc jouir de son produit qu’une seule fois. Ainsi, un logiciel peut théoriquement être revendu dans l’UE sans l’autorisation de son fabricant. L’éditeur suisse UsedSoft a basé son modèle économique sur ce principe et s’est engagé dans une offre promotionnelle sur la revente de logiciels Oracle en 2005. Lors d’un entretien avec la rédaction, Peter Schneider, le directeur de UsedSoft, nous avait expliqué qu’il achetait et revendait des licences afin de profiter du trop-plein de licences dans les entreprises. «Cela représente une valeur immobilisée qui n’est pas exploitée. Donc nous offrons à nos clients la possibilité de rapidement et facilement transformer ce capital en liquidités.» Et bien sûr, l’argument de la réduction des coûts avait été mis en avant, Peter Schneider évoquant des réductions de 25 à 50% selon le logiciel racheté.
Ce qui pour Oracle n’était pas acceptable pour les logiciels téléchargés sur Internet, notamment par les clients de UsedSoft. « Selon Oracle, ni la mise à la disposition gratuite de la copie ni la conclusion du contrat de licence d’utilisation n’impliquent un transfert du droit de propriété de cette copie», écrit encore la cour dans son arrêt, rappelant les positions de chacun. Un argument que la cour du Luxembourg rejète aujourd’hui massivement.
Cette décision de la cour de Justice européenne vient ainsi confirmer des conclusions de l’avocat général Yves Bot, émises en avril dernier, comme l’indique un communiqué de UsedSoft, selon lesquelles le droit de revente de logiciels d’occasion porte également sur les logiciels téléchargés sur Internet. A cette époque, Peter Schneider, patron de UsedSoft avait d’ailleurs affirmé que «la porte pour la vente de logiciel d’occasion est désormais grande ouverte dans l’Union européenne». Il se disait également confiant de la décision à venir de Cour européenne de Justice et de la Cour Suprême fédérale [qui doit encore rendre son verdict, NDLR]. Une décision qui pourrait enfin créer un environnement légal et en parfaite sécurité pour la revente de logiciels de seconde main.
Dans son arrêt du 3 juillet, la cour de Justice a toutefois confirmé que les acheteurs de licences usagées portant sur un nombre d’utilisateurs ne pouvaient par scinder cette licence en lot, si par exemple, la licence porte sur un nombre de postes trop élevé. «Si la licence acquise par le premier acquéreur porte sur un nombre d’utilisateurs dépassant les besoins de celui-ci, cet acquéreur n’est pas autorisé [...] à scinder cette licence et à revendre uniquement le droit d’utilisation du programme d’ordinateur concerné correspondant à un nombre d’utilisateurs qu’il aura déterminé», écrit la cour de Justice.
Si enfin, la Cour Suprême Fédérale confirme ce jugement de la Cour de Justice - ce que nombre d’observateurs pensent - le logiciel d’occasion pourra s’installer un peu plus dans les entreprises en Europe. Une aubaine dans un contexte de crise où les dépenses IT devraient connaître un sérieux coup de frein, comme nous l’indique Forrester.
Mais cette décision pourrait aussi soulèver des questions dans le domaine du grand public, à l'heure où les boutiques applicatives en ligne - comme celles d'Apple, de Google, ou encore de Sony pour les jeux vidéo - se multiplient et gagnent rapidement en popularité auprès du grand public, sans prévoir de mécanisme de cession de licence à un tiers.
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