OpenXML : la machine à polémiquer
Il aura suffi d'une obscure étape technique (le ballot resolution meeting, BRM) pour enflammer la blogosphère. Comme à chaque fois qu'il est question de la standardisation ISO d'OpenXML, le format XML de la dernière version de Microsoft Office, la polémique n'est jamais loin. A la clef, une masse incroyable de posts et d'articles détaillant la procédure de normalisation rapide (dite Fast Track) de l'ISO.
Il aura suffi d'une obscure étape technique (le ballot resolution meeting, BRM) pour enflammer la blogosphère. Comme à chaque fois qu'il est question de la standardisation ISO d'OpenXML, le format XML de la dernière version de Microsoft Office, la polémique n'est jamais loin. A la clef, une masse incroyable de posts et d'articles détaillant la procédure de normalisation rapide (dite Fast Track) de l'ISO. Du jamais vu dans l'histoire des normes, au moins en informatique. Avec d'un côté des blogs, dont celui d'Andrew Updegrove ou de Bob Sutor, qui ne manquent pas de souligner les manoeuvres du numéro un du logiciel, et de l'autre, la communication officielle de Microsoft qui crie au complot d'IBM, qui se serait fourbement drapé dans les oripeaux de l'Open Source pour mieux tromper son monde. Lobbying contre lobbying.
Microsoft sollicite des interviews
Dans l'Hexagone, c'est Marc Gardette, le responsable de la stratégie plate-forme pour la France, qui se charge de défendre OpenXML auprès des journalistes. Microsoft ayant par exemple sollicité un entretien avec leMagIT – que nous avons accepté -, comme il l'a fait également auprès de certains de nos confrères. Bref, une opération de communication méthodique. Qui s'accompagne même du lancement d'un site en français, Openxmlpourtous.com.
Au niveau mondial, l'éditeur a lancé le 6 mars son initiative Document Interoperability, qui vise à simplifier le passage de ODF en OpenXML et vice-versa. Seul un grand nom est aujourd'hui membre de cette initiative, qui vient de rendre disponible un plug-in assurant l'importation de fichiers ODF dans Excel et PowerPoint : Novell, indéfectible partenaire de Microsoft depuis l'accord entre les deux firmes en novembre 2006. Cette initiative fait suite à l'annonce en fanfare de fin février, au cours de laquelle Microsoft avait énoncé les principes qu'il entend suivre en matière d'interopérabilité (en photo ci-contre, les principaux dirigeants de Microsoft lors de l'annonce, lire également notre analyse à ce sujet).
Les raisons du « carpet bombing »
Pourquoi un tel tapis de bombes, à cette période ? C'est que Microsoft dispose de peu de temps pour voir OpenXML normalisé par l'ISO dans le cadre de la procédure dite rapide. En septembre dernier, le format n'avait pas recueilli les trois conditions nécessaires à son approbation par l'organisme (50 % de votants parmi les organisations membres permanents de l'ISO, plus de deux-tiers de votes positifs parmi ces membres et moins de 25 % de votes négatifs parmi l'ensemble des membres, y compris les « observateurs »). Suite au fameux BRM de Genève, où l'Ecma présentait ses réponses et amendements suite aux remarques formulées en septembre par les instances de normalisation nationales, ces dernières ont jusqu'à la fin du mois pour changer leur premier vote, exprimé en septembre. Autrement dit, Microsoft n'a que quelques jours pour convaincre cinq organismes nationaux de normalisation qui n'avaient pas voté en faveur d'OpenXML d'envoyer une lettre à l'ISO indiquant désormais leur approbation, suite aux modifications apportées lors du BRM. « Nous sommes confiants, indique Marc Gardette. Les délégations danoise ou néo-zélandaise se sont ainsi exprimées positivement après le BRM ». +2, le compte n'y est pas encore. Chez Microsoft, on indique avoir répondu positivement à la plupart des commentaires techniques émis par les instances nationales lors de l'examen de septembre.
Office, la vache à lait de Redmond
Voilà pour les échéances. Reste la question essentielle : pourquoi une telle guerre de tranchées pour un format qui est, de facto, celui de la suite bureautique archi-dominante sur le marché ? Tout simplement, parce que le format d'OpenOffice, ODF (OpenDocument Format) a, lui, déjà reçu le label ISO. C'était en mai 2007. Le géant du logiciel craint donc de voir ses adversaires – IBM en tête – s'appuyer sur cet argument pour pousser les organisations, à commencer par le secteur public, à standardiser leur production bureautique sur ODF. Un choix qui remettrait en cause la suprématie d'Office dans l'administration d'abord, puis, par effet boule de neige, dans l'ensemble de l'économie. Une menace particulièrement grave pour le « business model » du numéro un du logiciel, pour qui Office reste une vache à lait. Une source de revenus qui va lui permettre par exemple d'orchestrer sa mutation vers les servives hébergés (la fameuse stratégie software + services), priorité de Redmond depuis quelques mois. Pas étonnant donc de voir Google, qui est en train de déployer une stratégie identique visant précisèment à déborder Microsoft, s'opposer à son tour à la normalisation d'OpenXML.
On le comprend : la sourde bataille que se livrent Microsoft et ses adversaires pour la domination du poste de travail est avant tout affaire de timing. Le camp ODF tentant de retarder la standardisation pour laisser le champ libre à ODF et faire basculer quelques organisations clefs (comme des gouvernements) de son côté. Microsoft s'arc-boutant pour obtenir rapidement le précieux label ISO lui permettant de placer au moins OpenXML sur un pied d'égalité avec ODF. Et faire perdurer le statu quo dans les suites bureautiques. « On peut légitimement se poser des questions sur l'agenda d'IBM et de Google. Pourquoi ont-ils intérêt à ce que OpenXML ne soit pas une norme ISO ? », interroge Marc Gardette.
RGI : une déclaration de guerre pour Microsoft
Cette question stratégique concerne la France au premier chef. Une version préliminaire d'un document appelé Référentiel général d'interopérabilité (RGI), censé guider l'administration française dans le choix de ses formats informatiques, privilégie nettement ODF. Il préconise notamment d’interdire toute « migration depuis le format bureautique couramment utilisé par une organisation vers un format autre que le format ouvert Open Document ». Tout en rendant obligatoire pour les administrations d’accepter ledit format pour les échanges de documents. Une véritable déclaration de guerre pour Microsoft qui tente d’obtenir l’ajout d’OpenXML comme format de référence aux côtés d' ODF. « OpenXML est déjà un standard ouvert, piloté par une organisation indépendante, l'Ecma, plaide Marc Gardette. Il devrait donc figurer dans le RGI aux côtés d'OpenXML. »
Depuis la publication de cette version préliminaire du RGI, Microsoft France et les tenants du tout Open Source au sein des ministères se rendent coup pour coup. Du fait de l'absence de décret d'application, le premier a obtenu la constitution d'un comité chargé de l'élaboration du RGI définitif, sur la base du document préliminaire. Et, au sein de ce comité, s'exprime une forte opposition à l'esprit tout Open Source qui soufflait sur la version de travail. Résultat : malgré de multiples réunions, le RGI n'est toujours pas publié. En face, certains ministères (Intérieur, Culture, Défense, Equipement notamment) ont déjà orienté leur politique informatique en fonction du RGI première mouture. Un choix qui fait hurler Microsoft, celui-ci ayant même clairement agité la menace d'une action en justice, même si la perspective relève largement de la rodomontade.
Afnor : deux semaines pour modifier son vote
La France est également au centre des attentions de la multinationale en raison de la position exprimée par l'Afnor en septembre, lors du vote à l'ISO. Un non avec commentaires. L'organisme hexagonal affirmant sa volonté de « ne pas accepter en l'état » le standard. « Or l'Ecma a accepté de prendre en compte une des principales revendications de l'Afnor, explique Marc Gardette. A savoir la séparation du noyau du standard des éléments assurant la compatibilité avec des formats existants. » Une façon de dire que Microsoft compte voir l'Afnor modifier son vote initial et faire partie des quelques pays qui, en modifiant leur vote, donneraient à OpenXML le label ISO. La commission chargée d'examiner le standard se réunira mardi prochain, pour examiner les questions techniques, avant de prendre une décision quant au maintien ou à la modification de son vote le 25 mars. Une décision qui doit être prise par consensus, « même si j'ai du mal à penser qu'il puisse y en avoir un », raille un membre de la commission habitué aux joutes de ladite assemblée à laquelle participe Microsoft France.