Quatrième licence 3G : un tour de passe-passe qui profite à Bouygues
C’est un vieux feuilleton, dont tout le monde souhaitait une fin heureuse, mais qui semble destiné à tourner en eau de boudin : les fréquences correspondant à la quatrième licence 3G devraient être attribuées sous forme de lots, à plusieurs opérateurs, et non pas à un seul nouvel entrant. Un tour de passe-passe particulièrement favorable à Bouygues Télécom.
C’est La Tribune qui a jeté le pavé dans la mare : selon le quotidien économique, il ne devrait pas y avoir, en France, de quatrième opérateur 3G titulaire d’une licence pleine et entière. A la place, les fréquences associées à cette licence seraient distribuées par lots, aux opérateurs existants, mais aussi à de nouveaux entrants.
Enième rebondissement d'une série déjà longue.
C’est fin 2006 que l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) lance une consultation publique pour attribuer la quatrième licence 3G, restée vacante jusqu’alors. Peu après, Iliad, la maison mère de Free, manifeste son intérêt, mais avec une condition financière d’importance : l’échelonnement du règlement de la facture de 619 M€ nécessaire à l’obtention de la licence. C’est là que les débats commencent. Début 2007, François Loos, alors ministre délégué à l’Industrie, refuse cet aménagement, pourtant poussé par l’Arcep. En juillet 2007, c’est au tour du Conseil d’Etat de débouter Free, qui voulait obtenir l’annulation de la procédure d’attribution de la quatrième licence 3G en raison de conditions financières jugées trop élevées. Pour autant, Free dépose son dossier de candidature ; il est seul en lice. Numéricable, un temps pressenti, a finalement jeté l’éponge. Au motif – technique – que son dossier ne respectait pas les conditions fixées par la loi, la candidature de Free est promptement rejetée à l’automne dernier. La quatrième licence 3G cherche alors toujours preneur.
Jusqu'à l'apparition du scénario actuel, celui du découpage par lots. Selon l’Expansion, Iliad pourrait se contenter d'environ 5 MHz duplex dans la bande étendue des 900 MHz, sur les près de 35 MHz actuellement utilisés par Bouygues Télécom, Orange et SFR. Pour la maison mère de Free, qui n’a pas manqué de réitérer son intérêt pour la 3G, ce ne serait pas une si mauvaise affaire : le coût de déploiement d’un réseau est bien moins élevé dans la bande des 900 MHz que dans celle des 2,1 GHz ; l’opérateur pourrait en outre demander la mise en place d’accords d’itinérance nationale. Reste à savoir si une ressource si limitée permettrait à Iliad de réellement peser dans la balance concurrentielle. Rien n'est moins sûr selon les analystes d'Oddo, interrogés par Les Echos.
Un cadeau à Martin Bouygues ?
Mais les motivations d’un saucissonnage de la quatrième licence 3G n’en restent pas moins floues : Bouygues Telecom, Orange et SFR ne manquent pas de fréquences ; en 2006, l’Arcep les a autorisés à réutiliser les fréquences du GSM pour étendre leur couverture 3G. Le magazine Challenges avance une explication : le magazine indique que « ami personnel de Nicolas Sarkozy, Martin Bouygues aurait conclu un marché avec l’Elysée. » Au programme, deux cadeaux : « la suppression de la publicité dans l’audiovisuel public, favorable à TF1… et l’abandon de la quatrième licence [3G]. » De fait, l’attribution d'environ 5 MHz duplex à un nouvel entrant dans la bande étendue des 900 MHz permettrait à Bouygues Telecom de se rapprocher de l’équilibre par rapport à Orange et SFR : ces deux derniers ne disposeraient plus, dans cette bande étendue des 900 MHz, en zone très dense, que d'environ 10 MHz duplex chacun contre 12,4 MHz duplex actuellement, là où Bouygues Telecom se contente de 9,8 MHz duplex en bande étendue. Un chiffre qui ne bougerait pas après la redistribution des cartes consécutives à l'arrivée de Free. Déjà, en août 2008, l’UFC-Que Choisir avait fustigé les conditions financières d’attribution de la quatrième licence 3G, se rangeant du côté de Free : là où Christine Lagarde, ministre de l’Economie, des finances et de l’emploi, invoquait le principe d’égalité entre opérateurs, l’association de consommateur ne voyait qu’un « faux argument qui cache en réalité une protection des opérateurs en place (qui n’ont pas hésité à faire […] un chantage à l’emploi) au détriment des consommateurs. »
Le débat serait encore ouvert
Reste que selon Les Echos, qui fait référence à une « source proche du dossier », le gouvernement n’aurait pas encore arrêté ses choix. Entre relancer un appel d’offres et « demander aux trois opérateurs de prendre des engagements suffisants pour améliorer la concurrence », le cœur de Matignon et de l’Elysée continuerait de balancer. Mais cette dernière piste semble au moins relever de la naïveté : les trois opérateurs mobiles français ont rarement brillé par leur bonne volonté en la matière, pas plus que pour assurer une couverture géographique complète de l’hexagone.
Début 2006, SFR s’est vu par exemple imposer par l’Arcep d’ouvrir son réseau à un opérateur virtuel régional. Il faudra attendre fin 2009 – plus de dix ans après le lancement de Bouygues Télécom ! – pour que tous les axes routiers écoulant plus de 5 000 véhicules par jour soient couverts. Fin 2007, Bouygues Télécom ne respectait pas ses engagements de couverture 3G, pris en 2002, lors de l’attribution de sa licence. Et rappelons bien sûr l'entente illicite sur les prix entre 2000 et 2002, qui a conduit à la condamnation des trois opérateurs mobiles français.
Et s’il fallait encore s’en convaincre, l’UFC Que Choisir soulignait en février dernier la médiocrité de la concurrence sur le marché de la téléphonie mobile française, apportant ainsi de l’eau au moulin du rapport Attali. Dans sa Décision 61, ce dernier invite en effet à l’assouplissement des conditions de règlement du ticket d’entrée de la quatrième licence 3G afin, notamment, d’améliorer la concurrence et la couverture 3G/HDSPA du territoire. Bien qu'apparemment en phase d'enterrement, sera-t-il entendu ?