Télécoms : la R&D européenne en panne
Malgré des investissements records en recherche et développement, Nokia peine à proposer des solutions réellement innovantes. Alcatel-Lucent prévoit de dégraisser sa R&D d’ici la fin de l’année. Idem pour Orange. Mais, au-delà de ces exemples, c’est toute la R&D de l’industrie européenne des télécoms, hier un des fleurons du continent, qui semble aujourd’hui remise en question. Tant dans son efficacité que dans sa forme.
Malgré des investissements record en recherche et développement, Nokia peine à proposer des produits et des solutions réellement innovants. Alcatel Lucent prévoit de dégraisser cette activité d’ici la fin de l’année. Idem pour Orange. Mais au-delà de ces exemples, c’est toute la R&D de l’industrie européenne des télécoms qui semble aujourd’hui remise en question, tant dans son efficacité que dans sa forme.
Avec son iPhone, Apple se permet de venir provoquer un géant des télécommunications comme Nokia. Ce dernier s’en trouve réduit à essayer decopier son nouveau concurrent. Et ce n’est pas faute d’investir en R&D !
Nokia a consacré quelque 11,1 % de son chiffre d’affaires à la recherche et développement en 2007, soit 5 647 M€, contre 9,5 % en 2006 : ces chiffres ont de quoi faire rêver. En effet, l’innovation, en matière de téléphonie mobile, semble avoir quitté Nokia au profit d’Apple : ce dernier est en train de réussir avec les services en ligne là où les spécialistes des télécommunications ont échoué. Il suffit de consulter une récente étude de M:Metrics pour s’en convaincre : près de 85 % des utilisateurs d’iPhone surfent sur le Web avec l’appareil, contre 58,2 % des utilisateurs de smartphone ; 74,1 % des adeptes du mobile multimédia d’Apple l’utilisent pour écouter de la musique, contre 27,9 % des possesseurs de smartphone. Pour la France,Mediamétrie confirme ce phénomène.
La technologie n’est pas en cause : Nokia utilise le même moteur de rendu Web qu’Apple, WebKit. Comment, alors, expliquer la situation ? Mary McDowell, vice-présidente opérationnelle du bureau de développement corporate de Nokia, se montre évasive sur le sujet, évoquant la barrière du coût des connexions data mobiles, mais reconnaît devoir produire des terminaux plus simples à utiliser : « les possibilités d’amélioration sont encore nombreuses. Nous devons être plus intelligents dans la manière d’apporter Internet sur le mobile. » Et de rassurer : « nous consacrons plus d’efforts au logiciel et aux services. Nokia a le luxe de pouvoir se transformer tandis que son activité se porte bien ; dans la plupart des cas, la transformation vient en période de crise. » Et si, précisément, elle commençait déjà à poindre ?
Des investissements en berne
En France, Orange vient d’annoncer la suppression de 325 postes dans son activité de R&D en 2008, soit 10 % des effectifs locaux de cette division. Cette nouvelle curée survient alors que l’opérateur vient d’ouvrir son 18ème « Orange Labs » mondial, au Caire, et qu’il ne cesse de marteler l’importance stratégique des investissements de recherche et développement. Selon le syndicat Sud, Orange a déjà réduit ses effectifs de R&D de 5 % en 2006, puis de 2 % en 2007 et ne consacrait que 1,7 % de son chiffre d’affaires à cette activité, l’an dernier.
En fait, c’est la sémantique employée par Orange qui doit guider sur l’état de sa R&D : l’opérateur évoque de plus en plus la « co-innovation » pour présenter ce que l’on appellerait ailleurs du « co-branding » ou de la revente en marque blanche. Discrètement mais sûrement, Orange renonce à une part d’innovation exclusive pour exploiter et commercialiser les innovations de tiers. L’organisation des Orange Labs en forme de machine à tester et à trier paraît symptomatique de cette logique.
Selon l’édition 2007 du rapport annuel de la commission européenne sur l’investissement industriel en recherche et développement – basé sur les investissements réalisés en 2006 -, les entreprises du secteur issues du vieux continent peinent face à leurs concurrents, à l’exception notable de Siemens et Nokia : le premier se classe au 8ème rang mondial des investisseurs en R&D, devant Nokia, 17ème, mais aussi Motorola, 24ème, et Cisco, 25ème. Ericsson n’arrive qu’en 26ème position, devant Alcatel-Lucent, 42ème.
Alcatel-Lucent, le rebond ?
En 2006, Alcatel-Lucent n’avait consacré que 1,6 Md€ à la R&D, d’où son mauvais classement dans l’édition 2007 du rapport annuel de la commission européenne. Mais l’équipementier a récemment indiqué avoir consacré 3,1 Md€ à la R&D en 2007 - soit 14,6 % de son chiffre d’affaires !
Mais, derrière ces chiffres impressionnants se cache une fuite de compétences vers l’Asie. En fait, comme Nokia, Alcatel-Lucent s’appuie de manière croissante sur les pays asiatiques pour son activité de R&D. Le premier a par exemple installé ses équipes de développement logiciel à Bangalore, en Inde, quand le second emploie environ 10 % de ses effectifs de R&D en Chine, soit plus de 2 200 personnes.
Conséquence directe de cette orientation, l’ensemble Orvault-Rennes, dédié à la R&D de Alcatel-Lucent, va perdre 130 personnes sur 800 d’ici à 2009. Menacé il y a encore un an, le site semble avoir malgré tout retrouvé un peu d’air avec l’attribution de la R&D relative à WiMax et à la téléphonie mobile de quatrième génération.