Tribune : BI 201x, l’an 4 de la Business Intelligence ? (partie 2)
En dépit de la crise, l’intérêt pour la business intelligence ne s’est pas démenti et les demandes côté métiers se font toujours aussi pressantes. A la demande du MagIT, Jean-Michel Franco, expert de la BI chez Business & Decision, revient dans une série de quatre articles sur l'histoire, l'évolution et les enjeux des technologies BI. Deuxième partie : cinq tendances qui marqueront les années 2010.
1. La gestion de la performance d’entreprise rejoint la Business Intelligence.
2. La consolidation des plates-formes : au tour des entreprises de définir et de mettre en œuvre leur roadmap BI.
3. Les centres de compétences BI : quand l’entreprise se met en ordre de bataille pour répondre aux enjeux métiers.
4. La BI en self service (le retour) : quand les métiers deviennent autonomes pour exploiter leur capital informationnel.
5. Enrichir, pas seulement consommer, l’information : quand les principes du Web 2.0 se mettent au service de la BI.
Les cinq tendances suivantes :
6. Quand l’information dite non structurée enrichit les systèmes d’information de l’entreprise.
9. La BI embarquée : quand la décision rejoint l’action.
Tendance #1 : La gestion de la performance d’entreprise rejoint la Business Intelligence
L’enjeu : Tandis que la Business Intelligence se rapproche des processus de gestion et des opérations, son rôle n’est plus seulement de s’assurer que chacun fait son travail correctement ou encore de trouver des voies de progrès dans chaque activité. Il s’agit aussi de s’assurer que chaque activité est bien en phase avec les stratégies de l’entreprise, que les ressources sont bien allouées au bon moment, à la bonne activité, à un coût minimal et une qualité maximale, et aussi de faire la preuve que le travail a bien été effectué comme prévu, en conformité avec les attentes des clients ou des réglementations.
Les outils et les méthodologies permettant de garantir cela sont bien connus et matures, mais jusque là leur utilisation était limitée aux directions financières. On parle notamment d’outils :
- de gestion de la stratégie et de pilotage de l’exécution de cette stratégie,
- d’élaboration budgétaire, de planification et de gestion des prévisions,
- de gestion des coûts et de la profitabilité,
- de reporting et de consolidation statutaires et réglementaires,
- de gestion de la piste d’audit et de constitution de référentiels des données financières...
Désormais, la tendance est non seulement à l’intégration de ces outils dans ce qu’on appelle des suites CPM (Corporate Performance Management) mais aussi à la généralisation de ces outils dans toutes les activités de l’entreprise, ceux-ci devenant par voie de conséquence partie intégrante d’une plate forme de Business Intelligence d’entreprise. Ainsi la gestion de la performance se décline désormais dans les Ventes (gestion des territoires commerciaux, des quotas, des primes et intéressements, gestion des prévisions de vente ou détermination des prix de vente), le Marketing (suivi des leads, analyse de la performance des actions marketing), les Ressources Humaines, les Achats et la Gestion de la Chaine Logistique, la Gestion de Portefeuilles Produits ou Projets, etc.
Un exemple de mise en application de cette tendance : passé la première prise de conscience et la désormais indispensable mais pas suffisante déclaration de bonnes intentions, les entreprises prennent conscience que leur développement durable doit faire l’objet d’une initiative transverse qui responsabilise tout un chacun dans l’entreprise et se traduit en résultats concrets, mesurables et communicables à l’extérieur. Certains indicateurs comme l’empreinte carbone deviennent des ressources critiques dont la bonne gestion sera de plus en plus synonyme d’avantages concurrentiels voir de risques de pertes de part de marché ou de pénalités dus aux non respects des législations. Il fait déterminer la stratégie, les objectifs de progrès, déterminer qui en est responsable, coordonner les efforts et mesurer en permanence si les objectifs sont atteints. Il faut aussi parvenir à démontrer aux actionnaires, régulateurs et clients en quoi la stratégie de développement durable de l’entreprise peut se traduire concrètement en bénéfices dans leurs contextes. On voit donc apparaitre des solutions de gestion de la performance de développement durable, sorte de miroir des solutions financières précédemment évoquées, pour gérer la dimension sociale ou environnementale de l’entreprise avec la même rigueur que sa dimension financière.
Tendance #2 : La consolidation des plates-formes : au tour des entreprises de définir leur roadmap BI
L’enjeu : A coup de projets métiers, souvent en périphérie des systèmes d’information centraux de l’entreprise, la Business Intelligence s’est installée dans les entreprises sans toutefois avoir établi au préalable de solides fondations. Il n’est donc pas rare qu’une entreprise utilise de multiples outils décisionnels de fournisseurs différents, et la consolidation du marché tend à rendre cette approche d’hétérogénéité à l’extrême quelque peu caduque. Certains des fournisseurs ont en effet fait évoluer leurs outils en véritables plateformes, avec les avantages que cela implique en termes de couverture fonctionnelle, mais aussi les inconvénients associés en termes d’intégration avec le reste du SI. Les besoins des utilisateurs, de leur côté, ont aussi évolué, ceux-ci cherchant à faire étendre leur existant vers une plus large couverture qu’un outil ne peut prétendre résoudre à lui tout seul.
Face à cette situation, il est temps pour une entreprise de faire le point sur sa plate forme BI. Est-elle effective aujourd’hui et comment la faire évoluer : la fin des années 2000 aura permis aux grands éditeurs de clarifier leur roadmap BI après les grands mouvements de consolidation. Reste à beaucoup d’entreprises à faire ce même travail pour leur propre système BI, en établissant clairement les fondations de leur plate-forme (pas forcément sur une base mono-fournisseur), mais en définissant clairement les composants clés et la roadmap d’évolution de cette plate forme en fonction de leur stratégie BI pour les prochaines années.
Un exemple concret de mise en application de cette tendance : pour cette entreprise du secteur de l’industrie, le progiciel SAP est une fondation de son système d’information transactionnel, même si en amont, pour la recherche et développement, en aval du côté du marketing et de la relation client, et pour les ressources humaines, d’autres solutions ont été choisies. Suite à la vague de consolidation du marché, il est apparu que la BI reposait principalement sur les produits de 4 parmi les 5 plus grands éditeurs du marché, dans un assemblage dont la fragilité était désormais nettement mise en évidence.
Après avoir réactualisé le schéma directeur de la Business Intelligence, l’entreprise a défini quatre grands chantiers : le data warehouse, la gestion de l’intégration de données (pas seulement pour la BI), la restitution de données et la gestion de la performance d’entreprise. Le dernier de ces chantiers n’a pas était jugé suffisamment avacé dans sa courve de maturitédans l’entreprise pour justifier des choix stratégiques : une solution « tactique » a été donc choisi, celle qui était déjà utilisée dans l’entreprise ayant été préférée à l’option d’un nouvel outil dit « best of breed » certes plus innovant mais qui aurait nécessité des investissements plus conséquents. Dans les autres cas, des choix plus structurants ont été faits, en tenant compte de l’existant, des besoins actuels et futurs et de l’offre des leaders du marché. Au final, l’entreprise dispose désormais d’une plate-forme BI intégrée, sur la base d’une combinaison de l’offre de deux des acteurs dominants du marché et de quelques composants complémentaires « tactiques ».
Tendance # 3 : Les centres de compétences BI,: quand l’entreprise se met en ordre de bataille pour répondre aux enjeux métiers
L’enjeu : La Business Intelligence reste une discipline un peu à part. Chaque initiative nécessite une forte implication des métiers, pas seulement en phase projet, mais tout au long de son cycle de vie. Ces initiatives n’ont d’ailleurs pas vraiment de début ni de fin. Ceux qui ont essayé de déléguer leur maintenance et leur support à des équipes d’exploitation traditionnelles pluridisciplinaires éprouvent toutes les difficultés à les faire vivre au quotidien. Par ailleurs, spécifier les besoins reste un exercice d’expert. Beaucoup d’entreprises cherchent donc à constituer un centre de compétence BI interne, service partagé dans l’entreprise dont le rôle est de gérer les initiatives BI : identifier et prioriser les nouvelles demandes ; gérer les demandes d’évolution et le support aux utilisateurs ; animer les équipes relais qui définissent par eux-mêmes les nouveaux environnements de restitution décisionnels ; gérer la qualité des données…
Ces structures s’appellent des centres de compétences BI, ou BICC (pour BI Competency Centers). En général, ce sont de petites équipes, parfois virtuelles, parfois établies avec un double reporting de la DSI et d’une direction métier. Il est rare que ces équipes soient en charge de la réalisation des projets, de la maintenance applicative ou du support proprement dit. Ces tâches sont le plus souvent déléguées à une autre structure interne ou à un tiers. On parle alors de centre de service.
En mutualisant tous les projets BI de la sorte, l’entreprise crée une masse critique qui lui permet d’industrialiser et donc de limiter les coûts. Ainsi, l’entreprise gagne sur les deux tableaux : non seulement la Business Intelligence gagne en qualité et répond mieux au besoin du Business en étant institutionnalisé comme une activité d’entreprise à part entière, mais en plus elle permet de diminuer les coûts opérationnels.
Un exemple concret de mise en application de cette tendance : Pour cet établissement financier, la Business Intelligence est le nerf de la guerre du service marketing. A l’origine responsable de la base de données clients et prospects, un service interne à ce département a, au fil du temps, constitué un savoir faire à forte valeur ajoutée sur la valorisation de l’information et sa mise à disposition au plus grand nombre. Aujourd’hui, ce savoir faire est reconnu, au-delà de ses usages pour le marketing : l’enjeu est de le généraliser pour toutes les activités de l’entreprise. Il devient une activité transverse, sous la double responsabilité de la direction marketing qui en est à l’origine, et de la direction informatique, reconnu pour se mettre au service de tous les métiers de la banque.
En consolidant les budgets informatiques qui étaient consacrés à la BI dans chaque métier, le nouveau service se donne les moyens d’une stratégie BI plus ambitieuse. Par exemple, il peut créer un service d’analyse de données permettant de constituer des modèles prédictifs pour mieux gérer les ventes croisées, les risques, ou encore la fraude. Enfin, en réorganisant la manière dont les projets sont réalisés et en limitant le nombre de prestataires, le nouveau service dégage d’intéressantes possibilités de réduction de coûts.
Tendance #4 : La BI en self service (le retour) : quand les métiers deviennent autonomes pour exploiter leur capital informationnel
L’enjeu : La chaine de distribution de l’information dans les entreprises repose aujourd’hui sur des intermédiaires qui définissent les structures de différents niveaux : magasins de données, requêtes et analyses, rapports et tableaux de bord… Pour tout un ensemble de raisons (simplicité d’utilisation des outils insuffisante, temps de mis en œuvre, réduction des effectifs visant à limiter le nombre d’intermédiaires et à les éloigner de l’utilisateur final, intensification des demandes des utilisateurs qui demandent plus d’autonomie…), cette chaine comporte de nombreuses inefficacités et de goulots d’étranglement qui limitent considérablement l’efficacité de la BI. Au final, les utilisateurs contournent les chemins d’accès « officiels » à l’information pour constituer par eux-mêmes leurs propres magasins de données avec des outils de productivité personnels comme Excel ou Access, avec les risques qui en découlent en termes de sécurité, de cohérence et de fraicheur de l’information…
La tendance est donc de limiter la dépendance à ces intermédiaires, ou encore de s’organiser en conséquence, en responsabilisant une population de personnes proches du terrain et des besoins de chaque métier pour démocratiser l’accès à l’information au sein de chaque département de l’entreprise.
Cette tendance donne notamment lieu à la constitution d’un nouveau type d’architecture, appelés magasins de données ad-hoc, constituée par une petite population d’utilisateurs « experts » sur la base d’une nouvelle génération d’outils, complémentaires plutôt que concurrents de la génération précédente, et basés sur des technologies innovantes telles que les bases de données en mémoire : Qliktech, avec Qlikview, et Tibco avec Spotfire, sont les porte-drapeaux les plus connus de cette nouvelle génération, mais il y en a d’autres et ils sont en passe d’être rejoints par les grands acteurs du marché qui n’ont pas su jusque là anticiper cette nouvelle tendance : Microsoft avec Gemini, SAP avec SAP BO Business Explorer, etc…
Les magasins de données ad-hoc ont tout d’abord été utilisés dans un contexte de la BI départementale, souvent hors du contrôle de l’informatique. Les DSI s’intéressent désormais de très près à ces architectures, car elle leur permet de donner plus d’autonomie aux utilisateurs tout en conservant le contrôle sur la qualité des données et la sécurité. Elles sont un moyen de lutter contre la multiplication des magasins de données « pirates » constitués partout dans l’entreprise au moyen de tableurs sur la base de collecte artisanale et peu contrôlable d’information de toutes sortes.
Un exemple concret de mise en application de cette tendance : Pour cette entreprise de l’industrie pharmaceutique, le système décisionnel d’entreprise est devenu un pilier du système d’information. Nul ne conteste la valeur ajoutée des magasins de données stratégiques constitués par exemple pour l’analyse de l’efficacité des actions de prospection commerciale, la gestion des portefeuilles de produits de R&D, ou l’analyse des coûts de production et de logistique. A côté de ces grands projets, d’autres métiers, par exemple la RH, les essais cliniques ou les achats, s’estiment moins bien servis, leurs demandes étant considérées moins stratégiques et donc non prioritaires. Le fait que les magasins de données ad-hoc soient un nouveau type de structures reconnues par la DSI permet à cette entreprise de gérer ce type de demande, dans des cycles de projets plus court et moins coûteux.
Tendance #5 : Enrichir, pas seulement consommer, l’information : quand les principes du Web 2.0 se mettent au service de la BI
L’enjeu : avec le web 2.0, Internet a évolué d’un modèle de publication centralisé à un réseau social qui permet à chacun de participer, et pas seulement de consommer l’information. Son succès montre l’importance de la demande. Ce type de besoin apparait désormais dans l’entreprise en général, et dans son système de BI en particulier.
Tout d’abord, les systèmes de Business Intelligence doivent fonctionner en mode écriture : les demandes sont multiples selon les populations d’utilisateurs. Certains demandent de pouvoir insérer des commentaires dans les rapports, tableaux de bord, ou dans les bases de données elles-mêmes. D’autre veulent injecter de nouvelles données : budgets, prévisions, simulations, objectifs, informations de tous types non disponibles dans le data warehouse, etc. D’autres enfin veulent enrichir les données de référence sur les clients, les produits, les plans comptables. Bien évidement, ceci ne peut se faire que de manière contrôlée, au travers bien sur d’une couche de gestion de la sécurité, mais aussi en assurant la traçabilité et la piste d’audit des mises à jour. Les outils de planning et de forecasting, de gestion des coûts par activité, ainsi que certains outils de master data management, dits analytiques, deviennent alors des composants centraux d’un data warehouse d’entreprise.
Ensuite, certains utilisateurs souhaitent pouvoir créer par eux-mêmes des applications décisionnelles en assemblant des analyses, sur la base des mêmes principes que les outils dont ils disposent pour créer leurs applications web (on parle de « mash-ups »). Ce nouveau type de demande a donné un sacré coup de vieux aux outils traditionnels de génération de rapports pour donner naissance à une nouvelle génération d’outils de restitution basés sur des interfaces graphiques riches comme la technologie flash.
Un exemple concret de mise en application de cette tendance:
Dans cette société d’assurance, le contrôle de gestion est en charge de définir le tableau consolidé pour le reporting au niveau groupe. La collecte automatisée d’information fonctionne désormais parfaitement, mais le problème provient de toutes les informations qui ne sont pas collectées de manière automatique : certaines données de détail, mais aussi et surtout les données de référence pour consolider les chiffres, où mieux les faire « parler ». L’entreprise s’est alors rendu compte que cette fonctionnalité était discriminante dans le choix de ses outils de reporting financiers et ce critère a donc pesé lourd dans le choix de la nouvelle solution. En parallèle, elle met en place un projet de master data management pour harmoniser ses plans de comptes et gérer toutes les données de référence financières. Une des particularités de ce projet est que beaucoup de données doivent être saisies manuellement. Il faut donc organiser cette collecte et en assurer la gouvernance, afin de savoir qui a modifié quelle donnée et quand.