Délocalisations : les SSII françaises rattrapent leur retard
Des localisations dans le monde entier, des méthodes et des outils identiques partout. Un chantier colossal conduit à marche forcée dans les SSII françaises, qui ont longtemps minimisé l'impact du phénomène.
Impossible de croiser une SSII sans que le mot ne soit psalmodié comme un mantra. L’industrialisation semble faire partie des figures imposées, chez les grands prestataires de services, mais aussi désormais chez des acteurs plus locaux. « C’est avant tout une recherche de productivité, explique Dominique Raviart, analyste au cabinet d’études NelsonHall. On passe d’une logique jour.homme, celle de la régie, à une logique de centres de services dotés d’outils partagés. Cette transformation aboutit à la mutualisation des consultants sur plusieurs projets » Une logique justifiée par l’effet ciseau dont sont victimes les SSII : des prix qui stagnent alors que les salaires grimpent dans l’Hexagone. Sans oublier des DSI qui se font plus exigeants sur la qualité des prestations.
Une direction industrielle pour superviser les centres de service
Pour les SSII, ces impératifs de prix bas, mais aussi de garanties sur la qualité et les délais, se traduisent par des investissements et par une réorganisation. Au menu : des méthodologies communes à toutes les filiales, la formation des collaborateurs auxdites méthodologies, l’installation d’outils de pilotage, de gestion de versions, de tests, etc. Pour accélérer sa transformation, Atos Origin a ainsi lancé un plan sur trois ans, 3O3. Un investissement de 160 millions d’euros. Ce programme se décompose en sept chantiers. Deux d’entre eux concernent l’industrialisation et le Global Sourcing (organisation basée sur un front office au contact des entreprises clientes et des centres de back office spécialisés et répartis sur la planète). Avec notamment le choix des procédés et outils employés à l’échelle du groupe. La SSII s'est fixé pour objectif une harmonisation sur ces points pour 2009. A la clef, Atos espère des gains de productivité de 5 à 10 % par an sur trois ans. De son côté, le groupe HP a investi 500 millions d’euros sur cinq ans dans la mise en place de son outil industriel mondial.
S’y ajoute la réorganisation des SSII, avec, la plupart du temps, la création d’une direction au niveau groupe chargée de superviser les centres de services. Pour certaines un véritable choc culturel. Comme chez GFI, jusqu’alors très centré sur le modèle de l’agence régionale, qui, depuis un peu plus d'un an, s'est engagé dans la transformation de son modèle. Pour d’autres, une évolution plus douce. Comme chez HP, où une unité transverse, le Global Delivery, supervise les centres de services répartis dans le monde. Pour les pays, cette organisation devient un fournisseur de services, qui refacture ses activités. L'objectif premier de cet état dans l'état consiste à industrialiser les processus et à accélérer le choix d’outils et de procédures communs. En effet, si le back-office n’est pas industriel, l’avantage des coûts bas dans les pays offshore (ou plus simplement en Province) s'envole, car il faut muscler le front-office. Ce qui annihile les gains de productivité espérés.
Car l'industrialisation est aussi l'occasion d'exploiter les salaires avantageux des informaticiens indiens, marocains ou polonais. D'ailleurs, la localisation des centres de services fait désormais partie intégrante de la réponse des SSII aux appels d’offre. Un point examiné avec soin par les DSI et services achat, de plus en plus sensibilisés à ces questions. Si la solution proposée et son prix restent le critère numéro un, avec les références que peut afficher le prestataire, la crédibilité de la solution industrielle qu’il va mettre en œuvre arrive juste derrière. Ses références en terme de méthodologie ou encore la certification de ses centres de services sont passés sur le gril. Même si l’industrialisation de l’offre ne permet pas réellement de gagner des affaires, elle est indispensable pour se situer dans la bonne fourchette de prix.
Les SSII françaises à la traîne
Sans être décisive dans le choix, la robustesse de l’outil industriel devient aussi une garantie de fiabilité à long terme pour les entreprises. A condition de comparer les programmes des prestataires point par point, chacun vantant bien sûr son industrialisation réussie et son modèle original. Car le degré d’avancement dans ces travaux d’industrialisation est très variable. Beaucoup de SSII de taille moyenne ont réellement démarré ces grands travaux de relocalisation de leurs activités en 2006 ou 2007. Des travaux qui prennent évidemment plusieurs années.
Seconde différence entre les prestataires, leur capacité à organiser la fourniture du service dans plusieurs pays ou zones, afin de gérer les risques que présente l’évolution de certaines entités. Comme la hausse des salaires et le turnover important que connaît l’Inde. Des acteurs comme Atos-Origin, Sopra ou encore Steria sont, sur ce terrain, encore considérés comme à la traîne.
« Les SSII françaises le sont d’autant plus qu'elles pratiquent la délocalisation surtout pour les activités de développement, de test et de maintenance, explique Dominique Raviart. Alors que la nouvelle bataille se situe au niveau des infrastructures et de l’infogérance ».
Steria a toutefois, depuis quelques mois, tenté de rattraper son retard, d'abord via un rachat (celui de la SSII anglaise Xansa fortement implantée en Inde) et l'ouverture d'une coentreprise au Maroc. Une accélération phénoménale : voici seulement deux ans, son Pdg François Enaud minimisait encore l'importance stratégique de l'offshore. Un cas qui montre l'importance prise par ce phénomène en seulement quelques mois et l'urgence à laquelle doivent faire face les acteurs hexagonaux.
L’offre des Indiens crédibilisée
La volonté affichée des acteurs indiens, considérés comme des références dans l'industrialisation de leurs centres de services (avec couramment des certifications CMMI 5), de toucher l'Europe, pour palier la faiblesse de leur premier marché, les Etats-Unis, ne fait d'ailleurs que renforcer cette urgence.
D'autant que le nombre de lignes de services concernées par le phénomène, déjà important, a tendance à grossir. La TMA et la gestion des infrastructures sont très touchées : ce sont des métiers récurrents qui peuvent reposer sur des processus très normés, facilitant leur délocalisation. Mais le phénomène concerne aussi les tests ou le développement, avec des méthodes et outils permettant de gagner du temps. En réalité, la proportion d’activités délocalisées dépend fortement des exigences du donneur d’ordre, de la taille et de la nature du projet. Sur certaines TMA, tout peut être délocalisée, si le centre de services offshore possède une bonne connaissance du métier du client et si la relation qui s'installe est bonne. A l’inverse, sur des TMA exigeant une réactivité forte, seul 20 % de la prestation sera par exemple délocalisée.
Un constat qui vaut pour toutes les prestations, les centres de services ne pouvant couvrir la totalité des besoins. Selon le Syntec Informatique, 15 % au grand maximum du marché est susceptible de partir offshore. Un plafond de verre confirmée par le syndicat patronal lors de la récente conférence sur le bilan économique et les perspectives 2008. «Et 20 à 25 % me semble constituer le plafond théorique de l’activité en centres de province », nous confirmait voici quelques mois Jean-François Rambicur, président de la commission économie et marché du Syntec Informatique. Soit tout de même un total de près de 40 % ! De quoi durablement remodeler le secteur des services, avec des impacts majeurs pour ses 300 000 salariés.
Lors de sa récente conférence de presse, le Syntec Informatique a d'ailleurs dû reconnaître qu'il avait sous-estimé la croissance de l'offshore dans l'Hexagone. Si ce phénomène ne pèse “que” 5 % du chiffre d’affaires des services en 2007, sa croissance a atteint entre 40 et 50 % tant en 2006 qu’en 2007. C'est plus que ce qui était attendu. Voici un an, Syntec estimait en effet que l'offshore ne franchirait la barre des 5 % que vers la fin de 2008.
Sans oublier que, comme le note Dominique Raviart, 5 % du chiffre d’affaires équivaut, une fois pris en compte les écarts de salaires, tout de même à environ 10 % du volume d'activités parti sous d’autres cieux. Déjà plus que significatif.