L'Indien Infosys s’ouvre en grand les portes de l’Europe
Réalisé au prix fort, le rachat d’Axon Group, une SSII spécialisée dans le conseil SAP, va surtout permettre à Infosys de renforcer sa présence en Europe, une cible particulièrement stratégique à l’heure où l’économie américaine ralentit. Mais c’est loin d’être le seul intérêt à cette opération record pour une SSII indienne.
C’est un record : jusqu’ici, aucune SSII indienne ne s’était offert le luxe d’une acquisition en occident pour un montant aussi élevé : près de 510 M€. Ce prix élevé représente deux fois le chiffre d’affaires d’Axon Group, et 20 fois son bénéfice net en 2007. Mais, pour Infosys, le rachat d’Axon Group, SSII britannique spécialiste de SAP, présente des intérêts multiples.
Les investisseurs indiens ne s’y trompent pas : sur le marché des actions de Mumbai, qui a ouvert en baisse de 1,1 % ce mardi 26 août, Infosys gagnait 1,3 % à 1 725 Rs. Harit Shah, un analyste du broker Angel Broking, cité par Reuters, relève ainsi que l’opération « semble très bonne à long terme. Elle va accélérer la croissance [d’Infosys] en Europe et lui donner accès à un très bon portefeuille client. » Du coup, plus qu’une dépense, l’opération est analysée comme une façon d’utiliser de manière intelligente - et avec de belles perspectives de retour sur investissement - une partie de la montagne de liquidités disponibles sur laquelle est assis Infosys.
Aller plus vite en Europe
En moyenne, depuis 2007, Infosys réalise environ 61 % de son chiffre d’affaires en Amérique du Nord, pour environ 27 % en Europe. La SSII indienne ne cache pas son intérêt pour le Vieux Continent : elle compte y réaliser, à terme, 40 % de son chiffre d’affaires ; et ramener parallèlement l’Amérique du Nord à la même part. Fin juillet dernier, nous avons rencontré Kris Gopalakrishnan, PDG d’Infosys, à Bangalore. A l’occasion d’un entretien, alors que le rachat d'Axon n'était pas encore connu, il est revenu sur les défis de la conquête du marché européen et sur la stratégie adoptée par la SSII indienne.
Axon Group s’intègre bien dans la stratégie de rachats ciblés détaillée par Kris Gopalakrishnan : la SSII britannique permettra à l’Indien de gagner quelque 2 000 collaborateurs répartis dans une trentaine de pays ; Axon Group réalise 61 % de son chiffre d’affaires dans la région Europe, Moyen-Orient, Afrique. Les effectifs d’Axon Group en Amérique du Nord viendront simplement renforcer ceux dont Infosys dispose déjà sur place.
Mais la mariée n’est pas parfaite : Axon Group n’a pas de bureaux en Europe continentale. Du coup, ce qui pourrait intéresser Infosys, au-delà de la SSII britannique, c’est son réseau de consultants SAP indépendants, Axon International. Parmi les membres de ce réseau, on relève notamment la présence de GFI Informatique. Interrogée sur ces intentions vis-à-vis du réseau Axon International, la direction d’Infosys s’est refusée à tout commentaire, avant la conclusion de l’acquisition.
Pour Dominique Raviart, analyste chez Nelson Hall, le réseau Axon International peut intéresser Infosys « pour réaliser des ventes supplémentaires en Europe. » Mais il n’anticipe pas de menace directe pour un GFI Informatique : « l’impact serait trop important pour la marge opérationnelle. » Et d’indiquer s’attendre toujours « à des rachats ciblés en France. »
Se renforcer sur le conseil SAP
Mais il n’y a pas que l’enjeu européen. Avec Axon Group, Infosys cherche aussi à développer ses activités à forte valeur ajoutée, afin de réduire la part du développement logiciel dans son chiffre d’affaires ; une activité sur laquelle la pression d’autres pays d’Asie commence à se faire sentir.
Sid Pai, analyste au sein du cabinet TPI (spécialisé dans le choix de prestataires), en Inde, relève qu’Infosys « dispose déjà d’une expertise SAP et dans le développement logiciel ; Axon lui apporte une expertise complémentaire dans le déploiement en réponse aux besoins de nombreuses industries verticales. » Dominique Raviart relève surtout que, « dans le domaine des PGI, on peut faire les développements en offshore mais le conseil doit se faire sur site. » Justement, Axon Group apporte à Infosys les effectifs nécessaires en Europe.
La SSII indienne revendique déjà une centaine de clients sur des projets SAP, dans plus de 20 pays, et plus de 2 100 collaborateurs spécialisés, le tout avec un chiffre d’affaires en progression de plus de 65 % en moyenne au cours des trois dernières années. Mais, globalement, le conseil et les solutions d’entreprise ne représentent que 24 % du chiffre d’affaires d’Infosys. Chez Axon, le conseil ne représente que 20 % de l’activité, mais l’implémentation des solutions d’entreprise compte pour 68 % du chiffre d’affaires.
Une bonne opportunité financière
Enfin, le rachat d’Axon permet à Infosys de trouver un usage pertinent à ses liquidités. Pour réaliser cette acquisition à plus de 500 M€, la SSII va en effet piocher dans son cash immédiatement disponible évalué à plus de 1,7 Md$ à la fin du second trimestre 2008.
Et d’apporter ainsi une réponse aux critiques qui reprochaient à Infosys de laisser dormir cet argent. Pour ne rien gâcher, Axon Group se porte plutôt bien : son bénéfice net avant impôts est passé de 4 M£ en 2003 à près de 30 M£ en 2007, tandis que son chiffre d’affaires progressait de 49 à 204 M£. Reste un défi pour Infosys : ramener la marge opérationnelle d’Axon Group à un niveau cohérent avec sa tradition, à savoir proche de 30 %. Pour l’heure, elle n’est que de 15 %. Mais l’espoir semble largement permis : la marge opérationnelle d’Axon Group n’était que 7 % en 2003.
L’acquisition doit être effective d’ici la fin du mois de novembre.