Décisionnel : des risques pour la DSI, émergence des modes hébergés et du collaboratif
Crise et changement progressif du modèle de distribution logiciel : Gartner s’est penché sur les grandes tendances à venir pour le décisionnel (BI). Perte de pouvoir du DSI, développement de l’offre en mode Saas et influence des fonctionnalités collaboratives et sociales : le cabinet d’études égraine des prédictions commentées par Jean-Michel Franco, l’expert Business & Décision sur ce segment.
Gartner vient tout juste de publier ses prédictions concernant l’avenir des applications décisionnelles à court-moyen terme. L’occasion pour le cabinet d’études de faire le point sur l’impact possible d’une crise qui devrait déboucher sur de nouvelles pratiques tant en matière de collaboration dans la prise de décision que du côté de la validité et de la transparence de l’information. Si, toutefois, le BI fait très vite la preuve de sa valeur opérationnelle. Jean-Michel Franco, Directeur solutions chez Business & Decision et expert en matière de BI, était présent à La Haye (Pays-Bas) à l’occasion du Gartner Business Intelligence Summit 2009 qui s’est déroulé les 20, 21 et 22 janvier derniers. Il a accepté pour LeMagIT de passer au crible les différentes tendances observées par Gartner.
Selon Gartner, d’ici 2012, les divisions commerciales (business unit) contrôleront directement au moins 40% du budget décisionnel total de leur organisation. Il s’agit, selon Gartner, d’une reprise en main importante dans la mesure où les directions opérationnelles n’ont plus réellement confiance dans la capacité de la direction informatique à convoyer les bons éléments pour l’aide à la décision. Côté fournisseur, ce mouvement devrait favoriser les offres analytiques intégrées incluant notamment – au delà de la dimension reporting – des outils de CPM (corporate performance management), d’analyse marketing en ligne et de prévisions.
Un risque de dépossession de la DSI sur les applications BI de l’entreprise qui ne va pas sans risque, selon Gartner. Les principaux d’entre eux étant la constitution de silos d’applications et d’informations limitant l’analyse et l’exploitation croisée de données mais aussi et, surtout, le risque de ralentissement du processus de remontée d’éléments cohérents pour aider la direction générale à prendre rapidement les décisions stratégiques.
Le point de vu de Jean-Michel Franco : « Les analystes de Gartner considèrent effectivement que les DSI risquent de perdre le contrôle des applications BI s’ils ne parviennent pas à répondre aux besoins du ‘business’ plus rapidement. Cela fait quatre années consécutives que c’est la priorité numéro un et, pourtant, dans la plupart des entreprises, la stratégie BI n’est toujours pas très lisible. L’un des axes d’amélioration passe par la constitution d’une organisation transverse dédiée au BI. Elle gèrerait des programmes plutôt que des projets, parce qu’un projet BI, contrairement à un projet ERP par exemple, ça se déploie par itération et ça doit évoluer en permanence.
Ce type d’organisation permettrait aussi de mieux cadrer chaque initiative : s’assurer de la bonne définition des besoins, de la pertinence des indicateurs, hiérarchiser les projets… Ce sont donc des équipes pluridisciplinaires, à la fois expertes en Business Intelligence et en gestion de projets, mais aussi aptes à comprendre et formaliser les besoins métiers, d’accompagner les utilisateurs pour qu’ils utilisent l’environnement à son plein potentiel.
La tendance qu’évoque Gartner découle aussi de ce que j’appelle l’effet Web 2.0 : les directions métiers ne supportent plus d’être considérées comme de simples consommateurs du système d’information : ils veulent être acteurs, et pas seulement dans les phases de conception générale.
Dans le BI, ils veulent être autonomes pour exploiter par eux-mêmes l’information, un objectif que peu de systèmes décisionnels sont parvenus à atteindre pleinement, malgré les vœux pieux. Mais ces utilisateurs veulent aussi s’impliquer plus en profondeur : maîtriser la qualité des données (ce qu’on appelle la data gouvernance), gérer et faire évoluer les référentiels qui sont dans leur domaines de responsabilité (ce que l’on appelle le master data management), voire même pouvoir créer par eux-mêmes les magasins de données de leur choix de la manière la plus dynamique possible.
Désormais, le rôle des DSI, c’est d’assurer la gouvernance de tout ce dispositif : donner aux métiers les moyens de leur autonomie, tout en assurant le contrôle. Les technologies qui permettent d’y parvenir existent sur le marché, reste à se les approprier. Pour les DSI, il me semble qu’il y a urgence face au risque de perte de contrôle qu’évoque Gartner. »
Gartner prévoit, pour 2010, que 20% des organisations utiliseront en mode SaaS (Software as a service) une application analytique dédiée à leur secteur qui sera intégrée comme un composant standard de leur portefeuille applicatif décisionnel. Surtout, ce composant sera ouvert aux données externes via des services en ligne d’agrégation. Ces derniers devraient émerger par centaines, selon le cabinet d’études, et proposer des offres de niche très spécifiques. Ce mouvement impliquera de la part des patrons de branche et des DSI de travailler main dans la main pour favoriser l’intégration à la plate-forme BI de l’organisation.
Le point de vu de Jean-Michel Franco : « Le modèle SaaS s’adapte bien à des sujets que l’on peut aisément isoler du reste du SI. Mais plus il y a de points d’intégration au reste du SI, plus le modèle SaaS perd de sa pertinence. Le BI dans son ensemble n’est donc pas à priori la première cible, du fait de sa forte dépendance aux systèmes transactionnels de l’entreprise. Ceci dit, des choses intéressantes se font jour. Le CPM (corporate performance management), et, plus particulièrement, l’élaboration budgétaire, en est un bon exemple. Quelques entreprises fondées sur le modèle SaaS s’affirment sur ce marché, comme Adaptive Planning ou Host Dynamics. Le fait qu’elles ne soient pas encore présentes en France montre que l’on se situe au tout début de cette tendance.
Au-delà du CPM, on voit aussi arriver des jeunes pousses qui proposent des applications analytiques SaaS sur des sujets pointus, comme la gestion des portefeuilles projets dans la gouvernance de la DSI ou la R&D, la gestion des primes et intéressements, la détermination des prix de ventes… On voit aussi le BI compléter les solutions SaaS que les entreprises ont déjà adoptées, que ce soit à l’intérieur même de ces solutions - Oracle CRM On Demand par exemple -, ou en complément de celles-ci. De nombreux éditeurs BI se positionnent d’ailleurs comme complément de Salesforce.com pour lui amener une dimension analytique. Malgré cette tendance SaaS q ui est réelle, il serait toutefois très étonnait qu’elle atteigne l’ampleur évoquée dès 2010 !
On observe aussi, et de manière bien plus nette, le développement d’un modèle hébergé ou associé à des services d’exploitation clé en main. Des jeunes pousses comme Kognitio ou 1001 Data fournissent un « Data Warehouse as a Service » - HP le fait également avec l’Appliance BI Accelerator. Il s’agit d’appliances qui sont, soit livrées chez le client et dans ce cas administrées à distance, soit fournies en mode hébergé. Le prestataire associe à sa solution un accord de niveau de service et peut, éventuellement, la commercialiser en mode locatif. Parfois même, la maintenance et les montées de version sont proposées clé en main. C’est un modèle extrêmement prometteur selon moi, à fortiori si l’on s’appuie sur la virtualisation car, dans ce cas, le client est associé à un serveur virtuel et non physique, d’où des coûts de service raisonnables. En tant qu’hébergeur, Business & Decision s’oriente d’ailleurs vers ce modèle d’infogérance spécialisée ; et l’on constate un très fort intérêt du marché pour cette approche. Mais, il ne s’agit pas de SaaS au sens « traditionnel » du terme.
Dernier sujet à suivre : l’intégration de données issues des applications SaaS dans les Data Warehouse d’entreprise. Prenons le cas d’une entreprise qui gère ses commandes et sa comptabilité client dans un ERP en interne et dont le CRM est en mode SaaS. Elle doit pouvoir analyser des indicateurs clés comme la rentabilité de ses clients, et donc extraire les données de l’application SaaS et les intégrer au Data Warehouse. On voit apparaitre des solutions d’intégration spécifiques pour le SaaS et les solutions ETL traditionnelles prendre en considération ce modèle. »
Pour Gartner, 2009 devrait être l’année du décisionnel collaboratif avec l’arrivée d’offres combinant fonctions d’aide à la décision et outils issus des réseaux sociaux. Selon le cabinet d’études, il y a là matière pour le DSI à concevoir une plate-forme d’exploitation de données collaboratives informelles. Il s’agira d’exploiter, dans un contexte décisionnel, les données liées au développement de l’usage des outils de réseaux sociaux en entreprises.
Le point de vu de Jean-Michel Franco : « il y a un domaine où le décisionnel collaboratif a fait ses preuves : c’est le budget - typiquement un processus de décision collectif, qui nécessite de se mettre d’accord entre le management (top down) et l’opérationnel (bottom up).
Il y a un autre domaine où c’est plus long à se matérialiser : les « balanced score cards » où il est prévu de décliner une stratégie en initiatives, avec un responsable pour chacune d’entre elles. Cela fait longtemps que les concepts existent, mais ils sont longs à devenir des bonnes pratiques acceptées par tous. Gartner semble considérer que les réseaux sociaux pourraient jouer un rôle de facilitateur, mais ça reste à prouver.
Plus généralement, selon moi, il y a une autre tendance majeure qui n’apparaît pas dans cette analyse de Gartner : c’est l’intérêt de plus en plus fort accordé à la gestion de l’information au sens large. On parle de l’EIM, qui regroupe notamment la gestion des données de référence, la gestion de la qualité, de la synchronisation et de la diffusion des données, le stockage/sécurisation/gestion du cycle de vie (ECM) et l’accès (search) aux données non structurées. C’est un enjeu clé, auquel les entreprises sont particulièrement sensibles et qui commencent à faire l’objet d’approche dédiées.»