IBM/Sun : un mariage poserait beaucoup de questions technologiques
Si l'on exclut tous les paramètres financiers d'une telle opération, l'acquisition éventuelle de Sun par IBM pose une série de questions importantes en terme d'intégration technologique. Les offres serveurs et logiciels des deux constructeurs se recouvrent en effet largement et, à moins de surprises, une intégration entre les gammes de Sun et IBM, pour autant qu'elle soit souhaitable, sera longue et difficile
Une acquisition de Sun par IBM, hypothèse évoquée hier par le Wall Street Journal, ferait-elle sens du point de vue technologique et pourrait-elle réussir ? La réponse est mitigée, ne serait-ce que parce que le dernier grand rachat d'IBM dans le monde Unix, n'a pas été une réussite. Lorsque Big Blue a effectué l'une de ses plus grosses acquisitions en matière de serveurs en 1999, en mettant la main sur Sequent, il avait promis que la technologie Numa-Q de Sequent serait déployée dans la plupart de ses modèles. Bref, on allait voir ce qu'on allait voir. Trois ans plus tard, c'est l'ensemble de l'offre Sequent qui faisait naufrage et disparaissait quasiment corps et biens du catalogue IBM, ce dernier abandonnant quasiment en rase-campagne les clients de Sequent.
Pour ceux qui ont un peu de mémoire, c'est un certain Samuel J. Palmisano, à l'époque loin du poste de Pdg, qui avait présidé au démantelement de l'offre Sequent et axé les efforts d'IBM sur la consolidation de son offre serveur. Une stratégie qui, au fil des années, a notamment amené Big Blue a faire converger ses plates-formes i (ex-AS/400) et Power Systems (ex p-Series).
Serveurs : un géant confronté à de vastes problèmes d'intégration
Or, un rachat de Sun aurait un impact pour le moins inflationiste sur le portefeuille serveur d'IBM. Sur le marché Unix, où Sun et IBM sont au coude à coude, Big Blue n'aurait d'autre choix que de maintenir durablement deux lignes de produits, sa famille de serveurs Power Systems et les 3 familles Unix de Sun : l'entrée de gamme à base d'UltraSparc T2, le futur milieu de gamme multithreadé Rock et le haut de gamme Sparc64 VII.
Le tout avec de multiples problèmes à résoudre. Du côté des systèmes d'exploitation, IBM utilise AI/X, tandis que Sun pousse Solaris. On pourrait imaginer à terme une convergence des OS et une uniformisation de certaines plates-formes matérielles, mais elle prendrait du temps et la compatibilité binaire ne pourrait être adressée que par un usage judicieux de la virtualisation et d'une couche d'émulation comme celle que fournit Transitive (une société récemment rachetée par IBM). Une telle fusion passerait par une modernisation d'AI/X, un OS considéré comme vieillissant, avec les technologies modernes apportées par Sun, telles que ZFS ou Dtrace. Ce nouveau “Solarix” pourrait aussi ouvrir une porte de sortie à l'offre Unix convergée dans le monde x86.
Réinternaliser la production des Sparc ?
L'une des victimes du mariage IBM et Sun pourrait être l'alliance nouée par ce dernier avec Fujitsu. On voit en effet mal Big Blue continuer à utiliser durablement une technologie processeur qu'il ne contrôle pas. Le maintien de l'alliance pourrait aussi aggraver les éventuel problèmes d'antitrust que soulèverait une telle fusion. En revanche, un bénéfice potentiel pour IBM, et pour Sun, résiderait dans la reprise en main à moyen terme de la production des puces Sparc dans les fonderies de Big Blue. Une opération qui aurait le mérite de réduire les coûts de ces puces, mais aussi de contribuer au rebond de l'activité micro-électronique de Big Blue, en perte depuis plusieurs trimestres.
Terminons ce tour d'horizon matériel avec les serveurs x86. Alors que cette activité est en chute libre depuis plusieurs trimestres chez IBM, Sun a poursuivi sur ce marché sa croissance à un rythme rapide au cours de l'année 2008, grâce à un portefeuille d'offres séduisantes à la fois pour le monde de l'entreprise et pour le monde du HPC (un secteur où Sun réalise une part non négligeable de ses ventes x86). Sur le marché des serveurs lames notamment, Sun n'a cessé de gagner du terrain, quand les ventes de BladeCenter d'IBM périclitaient. Sur bien des points, l'offre de Sun pourrait être un remède aux déboires de Big Blue, à condition que le géant tranche rapidement dans les gammes et accepte de donner le champ libre aux offres de Sun (moyennant, une convergence des outils d'administration et de supervision).
Stockage : peu de recouvrement
Côté stockage, il existe peu de recouvrement entre l'offre de Sun et celle de Big Blue. Sun revend en haut de gamme les systèmes d'Hitachi, tandis qu'IBM dispose d'une offre vieillissante avec sa gamme DS8000. Sur ce segment, Hitachi pourrait être abandonné rapidement au profit d'une offre renouvelée, développée en interne. En milieu de gamme, Sun et IBM s'appuient souvent sur des sous systèmes LSI et l'intégration ne devrait pas poser de grand problème. Côté NAS milieu de gamme, l'offre NetApp, revendue en OEM par Big Blue, devrait aussi subsister. Reste le cas de l'entrée-milieu de gamme, où les développements récents de Sun avec sa gamme Open Storage sont séduisants et pourraient permettre à Big Blue de proposer une offre très compétitive appuyée par une palette de services sans égal, avec la perspective à terme de faire monter en gamme Open Storage si le succès espéré est au rendez-vous. Sur le marché du HPC, la combinaison de ZFS et de Lustre est directement concurrente de l'offre GPFS d'IBM, mais le succès grandissant de Lustre pourrait amener Big Blue à s'interroger sur l'avenir de ses propres développements en matière de système de fichiers parallèle.
Logiciel : opportunités dans l'Open Source
Du côté logiciel, le rachat de Sun par Big Blue permettrait à IBM de mettre la main sur quelques pépites en terme de propriété intellectuelle, par exemple MySQL, Lustre, Solaris et Java. Des pépites aujourd'hui Open Source, mais qu'IBM pourrait exploiter à leur maximum au travers de ses activités de services, ce que n'a pas su faire Sun jusqu'à présent.
IBM mettrait aussi la main sur Open Office ainsi que sur l'intégralité de l'offre middleware de Sun, notamment GlassFish, le serveur de référence pour le développement de J2EE. Et hériterait d'une offre complète en matière de gestion d'identité et de fédération d'identités, de portail.... Dans bien des cas, ces composants middleware sont redondants avec le portefeuille d'IBM et il y a peu de chance qu'ils survivent à une fusion. Sauf si IBM en fait son fer de lance pour des offres de services Open Source.
Plus généralement, l'offre logicielle de Sun étant 100 % Open Source, elle pourrait permettre à Big Blue de se constituer enfin un catalogue de solutions libres, une chose qu'il n'a jusqu'alors pas su faire (ou voulu faire), puisque son offre logicielle est largement restée propriétaire, malgré l'intérêt professé par la firme pour le monde libre.
Problèmes d'antitrust : l'inconnue
En l'état, un rachat éventuel de Sun par IBM pose donc énormément de questions d'intégration que Big Blue ne pourra traiter à la légère, la plupart des clients de Sun étant des grands comptes et des multinationales. A ces questions viendront aussi s'ajouter les inévitables problèmes d'antitrust. Une combinaison Big Blue/Sun détiendrait en effet près de 42 % du marché mondial des serveurs en valeur, et même entre 55 % et 60 % du segment des machines Unix, l'intégralité du marché des mainframes – déjà objet d'une plainte antitrust auprès de la Commission européenne -, et une part plus modeste du marché x86. De quoi donner des munitions à des concurrents qu'un tel rapprochement mettrait évidemment sous pression.