Le BPO francophone, l'eldorado dont rêve l'offshore marocain

C'est le créneau qu'avait choisi le Maroc pour assurer le décollage de son offre d'offshoring. Un espoir déçu, les grands comptes hexagonaux faisant preuve de timidité dans l'externalisation de leurs processus métier (BPO). Malgré ce démarrage poussif, les prestataires installés dans le royaume n'ont pas rendu les armes et la pratique se développe petit à petit.

C'était la cible principale du gouvernement marocain lorsqu'il a lancé son plan de développement de l'offshoring. Une cible ratée reconnaît aujourd'hui le ministre marocain du Commerce, de l'Industrie et des Nouvelles Technologies, Ahmed Reda Chami (lire son interview dans nos colonnes), qui explique que c'est surtout l'externalisation informatique qui a positionné le Maroc sur la carte mondiale des destinations offshore. La faute à un marché de l'externalisation des processus métier (BPO) que les grands comptes hexagonaux n'abordent qu'avec circonspection.

Ce faux départ n'empêche pas les acteurs locaux ou les sociétés de services internationales installées sur place de continuer à considérer le créneau des processus métier comme stratégique pour le futur de leur activité. Il est vrai que, de plus en plus, le Maroc se voit concurrencé sur les activités de centres d'appel par des pays où la main d'œuvre est encore moins chère, comme Madagascar ou le Vietnam.

La découverte de nouvelles exigences

Venu du traitement du papier, la société de services belge Fedaso (4,2 millions d'euros de CA en 2008, 450 personnes), présente à Fès depuis 14 ans (centre en photo ci-contre), lorgne précisément vers ce marché. "De plus en plus, nous exploitons les informations issues des documents de nos clients pour faire tout ou partie de leur métier", explique ainsi Yves Poll, le président-fondateur de Fedaso. Qui ajoute : "Pour se différencier d'offres émanant de Madagascar, par exemple, nous devons nous positionner sur des segments plus pointus, demandant une forte industrialisation et reposant sur des processus très techniques." C'est par exemple le cas avec le contrat que le prestataire a remporté, il y un an environ, auprès de Cetelem, et sur lequel travaille une trentaine d'opérateurs du site de Fès. Fedaso y saisit et codifie tout le courrier entrant du spécialiste du crédit.

Une voie où Fedaso découvre au passage des exigences auxquelles il n'était habituellement pas confronté. La mise en place d'un traitement pour un client du monde financier a ainsi poussé le prestataire à nommer un responsable IT et sécurité, et à réexaminer tous ses processus à la lumière des desideratas du donneur d'ordre (gestion des actifs, RH, sécurité des bâtiments, gestion des droits d'accès, continuité d'activités, etc.). Fedaso a ainsi, via un partenariat avec un centre d'appel lui aussi situé à Fès (Call In Out), mis en place un site de repli, "avec des serveurs prêts, un plan documenté et testé", ajoute Najib El Maadani, le directeur technique de Fedaso. Le prestataire envisage d'ailleurs de mettre en œuvre un vrai PCA (plan de continuité d'activités) en éclatant son activité entre deux sites distants ; la solution du site de secours sur le centre d'appels ne pouvant pour l'heure qu'être exploitée de nuit.

Positionné sur la relation client, la facture fournisseur et des cas spécifiques (comme la classification des causes de décès pour la Communauté française de Belgique), Fedaso est également en train de monter une offre dédiée à la prise de commande pour la VPC, via de nouveau un partenariat avec Call In Out.

Saisie de factures dans l'ERP

Si les acteurs du call center marocain voient eux aussi le BPO - et ses multiples opportunités - comme un marché en devenir, leur permettant d'éviter la concurrence sur les prix d'autres pays, ils restent dans l'ensemble prudents face à ce marché encore insaisissable. Et rappellent qu'au présent, c'est bien la prise en charge des appels entrants ou sortants qui fait le gros de leur activité. "Sur ce créneau, on est certes la destination francophone la plus chère, mais aussi la première en terme de taille", relève Youssef Chraïbi, directeur général d'Outsourcia. Ce marocain, qui a fait ses études en France et y a débuté sa carrière, est revenu dans son pays natal en 2003 créer ce prestataire spécialisé dans les centres d'appel (400 positions aujourd'hui), une société qui a aussi entamé sa diversification vers le BPO. Par exemple, en assurant l'intégration de données comptables dans l'ERP de Manutan, grand compte spécialiste de la vente à distance aux entreprises. "Le contrat repose sur un niveau de productivité maximal associé à un taux d'erreur minimal dans la saisie des informations dans l'ERP, un taux fixé à 0,4 %", détaille Youssef Chraïbi. Le contrat de deux ans avec Manutan a été renouvelé par le donneur d'ordre, selon le dirigeant. Selon lui, le BPO pèse 15 % de l'activité d'Outsourcia (4,1 millions d'euros en 2008).

L'épineuse question des données personnelles

Un frein ou pas ? Comme le rappelle Yves Poll, le président-fondateur de Fedaso, prestataire pour qui la manipulation de données personnelles est indispensable au quotidien, “la loi française de 2004, qui transpose une directive européenne, prévoit la libre circulation des données au sein de l’Union, agrandie d’une liste d’une dizaine de pays”. Une liste où on trouve par exemple la Norvège ou la Suisse… mais pas le Maroc. Pour l’instant, les garanties en la matière sont donc fixées contractuellement. Mais une loi votée il y a quelques mois au Maroc devrait permettre au royaume d’intégrer la liste des pays “compatibles” avec les normes de l’Union en matière de protection des données personnelles. Un ouf de soulagement pour les prestataires. "Clairement, c'est un frein notamment pour les opérations nécessitant un paiement par carte bancaire", estime Jérôme Mouthon, président de Finashore, qui précise tout de même qu'une éventuelle divulgation de données personnelles par un employé d'un prestataire serait déjà punie par la loi marocaine. Une perspective susceptible d'en refroidir plus d'un, même si Jérôme Mouthon reconnaît que des affaires de ce type ont existé dans le royaume.
Youssef Chraibi, directeur général d’Outsourcia, spécialisé dans les centres d’appel (400 positions) le BPO et le développement informatique, minimise la portée réelle de cette question : “cette contrainte reste assez formelle. Dans une très large majorité des cas, nos équipes ne gardent aucune trace des données des clients puisque nous intervenons directement sur leurs bases. La question que l’on se pose tient plutôt aux interfaces techniques et aux limitations d’usage associées”. Même s’il reconnaît que, pour des professions très réglementées comme la banque, le sujet peut constituer un facteur de blocage.

 

Membre du groupe Finatech - un projet visant à constituer un prestataire marocain de poids par rachat de sociétés locales -, Finashore (ex Sysnek) regarde également le marché du BPO comme une voie de développement en parallèle de son activité cœur, le call center. Même si Jérôme Mouthon, son président (en photo ci-contre), reste circonspect, doutant d'un exode massif des grands comptes français vers le Maroc pour les prestations type du BPO (finance et comptabilité, achats, etc.). Mais tout en soulignant l'apparition de marchés plus verticaux, comme la gestion des droits pour les intranets ou le recouvrement de factures. Finashore assure également la gestion de contrats pour une compagnie d'assurance, le recouvrement de factures (pour deux sociétés françaises) ou la vente de surgelés pour un distributeur spécialisé. Un contrat où le prestataire va jusqu'au remplissage des camions de livraison en fonction des tournées. "De plus en plus, nous travaillons directement sur les plates-formes de nos donneurs d'ordre", explique Jérôme Mouthon.

Pas de tensions sur l'emploi contrairement à l'infogérance

Des métiers où, selon les différents acteurs interrogés, le Maroc dispose d'un solide réservoir de compétences, à la différence de l'infogérance où l'arrivée des SSII occidentales a entraîné des tensions sur l'emploi (donc sur les salaires). "La souplesse est beaucoup plus grande sur les métiers du BPO", confirme Ali Naguib, le directeur général de Finashore, qui parle d'un réservoir de compétences allant de Bac+2 à Bac+5. "Même si, quand on monte en technicité, par exemple pour du support technique de niveau 2, une formation complémentaire est souvent nécessaire", ajoute-t-il. Le pays a mis en place différents systèmes facilitant l'adaptation des compétences aux besoins des prestataires, via des enveloppes favorisant l'entrée des débutants dans la vie professionnelle par des formations complémentaires.

Une relative détente qui pourrait ne pas durer. En mars, un des grands noms mondiaux du BPO, Genpact, a signé un protocole d'accord avec le gouvernement marocain, pour s'installer sur Rabat Technopolis, une des zones dédiées à l'offshoring mises en place par le Royaume. Déjà présent sur l'autre zone déjà sortie de terre, Casanearshore, TCS n'y a pas encore lancé des activités de BPO. Présent sur la zone proche de Casablanca depuis un an, l'Indien ne dispose pour l'instant que d'une modeste équipe d'une vingtaine de personnes concentrées sur des activités liées à l'externalisation informatique. Tout en ayant réservé des locaux pour plusieurs centaines d'employés. Mehdi Sahel, le directeur de TCS au Maroc (ci-contre), explique souhaiter démarrer cette activité assez vite, notamment sur des secteurs comme la finance ou les télécoms : "sur ces métiers, le Maroc n'est que 10 à 15 % plus cher que l'Inde. Et on ne trouve pas 2 000 à 3 000 francophones sur le sous-continent pour assurer des prestations de BPO francophone. C'est le volet qui intéresse TCS au Maroc". Même si les chiffres annoncés par ces grands du BPO ne seront pas atteints avant quelques années, la perspective risque de créer des tensions sur les compétences clefs pour ces métiers... et faire de l'ombre aux prestataires locaux.

En savoir plus : Lire sur le blog Jour.homme la série de billets sur l'offshore au Maroc, écrits lors d'un reportage d'une semaine sur place portant sur le développement de cette industrie.

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