TIC et stress: l'organisation du travail plus que jamais mise en cause
Pas moins d'une dizaine d'études récentes met en évidence le défi que représente, pour les entreprises, la prise en compte des effets positifs et négatifs des TIC sur les conditions de travail. Effets amplifiés par l'interpénétration des usages privés et professionnels. Et interpellant d'autant plus la façon dont sont conduits et accompagnés les projets.
Au baromètre du stress des cadres, relevé tous les six mois par le syndicat CFE-CGC, l'aiguille est plus que jamais dans le rouge. Dans la quasi-totalité des réponses sont invoqués l'impact des outils de communication, le volume croissant d'information et l'exigence de réactivité qu'ils induisent (85% des réponses), y compris en dehors des horaires et du lieu de travail (75% des cas). Un constat de "brouillage des frontières spatio-temporelles entre travail et hors-travail", mais aussi de contradiction entre plus d'autonomie et plus de contrôle dans le travail, repris par ailleurs par l'imposant rapport (L'impact des TIC sur les conditions de travail) présenté la semaine dernière par la Direction générale du travail (DGT) et le Centre d'analyse stratégique (CAS).
Sans surprise, face à ce flou, la première recommandation concluant cet état des lieux est d'y glisser autant que possible un peu de clarté. "Développer des dispositifs de régulation interne des usages". Mettre, par exemple, des limites horaires à la messagerie. Comme certaines entreprises commencent à le faire avec une "charte des usages" ou du "bon sens numérique".
Une organisation tiraillée entre process et projets
Réguler: n'est-ce pas d'ailleurs le souhait implicite d'une large majorité de DSI et de dirigeants d'entreprise qui freinent des quatre fers devant l'irruption des medias sociaux dans l'entreprise? Selon une étude d'Iron Mountain, société spécialisée dans les services de gestion de l'information, sept entreprises françaises sur dix avouent reculer devant la difficulté à contenir le mouvement. Ce qui les conduit (neuf fois sur dix) à en interdire l’usage au travail. Peine perdue, si l'on en croit l'enquête du cabinet KPMG (How business are making the most of social media). Et qui risque même de faire pire que mieux, dès lors qu'une personne sur trois passe outre l'interdiction et contourne les protocoles de sécurité à cet effet. Ce que décrit également le rapport du cabinet McKinsey sur la façon dont les usages des réseaux sociaux ont commencé à transformer en profondeur les organisations (How social technologies are extending the organization, novembre 2011).
Finies les organisations pyramidales. Place à une approche des priorités partant de la base, des faits et de l'expérimentation plutôt que venant du seul sommet de l'entreprise. Place à la transparence financière, à l'évaluation par les pairs. Place à une organisation constamment confrontée à une certaine dichotomie entre process et projets, tiraillée entre la continuité des process et les changements induits par les projets. Place aux "collectifs de travail" plus ou moins formels, plus ou moins temporaires. Le rapport du CAS consacre un chapitre entier à ce "nomadisme coopératif" dont les "avantages se paient par une insécurité plus grande".
Le chambardement est tout aussi intense avec les usages de la mobilité et la consumérisation rapide de l'informatique d'entreprise. Forrester, Morgan Stanley, Orange, Cisco, Symantec : enquête après enquête, se confirme l'ancrage dans l'environnement de travail du BYOD (bring your own device). Autant de constats qui sonnent comme des avertissements. Car tout semble indiquer que la prise en compte des risques associés à ces évolutions reste nettement insuffisante.
L'expérience utilisateur mise en exergue
Autre vieille antienne, reprise par le rapport du CAS, le fait que "les critères techniques et financiers prennent trop souvent le pas sur les conséquences organisationnelles". Depuis le temps qu'organisateurs et ergonomes s'évertuent à prôner ensemble la prise en compte du facteur humain et l'accompagnement du changement, l'on pourrait légitimement penser que le message est passé. D'autant qu'en matière de conduite de projet, les méthodes agiles et autre démarche centrée sur l'utilisateur (user experience) ont la cote... tout au moins dans le discours. Mais les "pro" de l'expérience utilisateur continuent de constater que "l'outil sert trop souvent de bouc émissaire pour cacher de vrais problèmes d'organisation et de comportements", comme en témoigne Rémy Wilders, directeur général de KMB partners. Depuis une dizaine d'années, "l'effort de formation continue concernant les TIC a singulièrement fléchi", ajoute le rapport du CAS (statistiques de la Dares à l'appui). La plus grande maitrise des outils par les salariés, notamment les plus jeunes, et le développement de l'autoformation ne sauraient tout résoudre.
D'où les recommandations - bien classiques - assénées par le rapport CAS/DGT, d'associer systématiquement les utilisateurs et les DRH à la conduite des projets. Et de poursuivre, voire reprendre, l'effort de formation continue tant des usagers que de leurs délégués (DRH, représentants du personnel) afin qu'ils soient "en capacité de débattre avec les professionnels du SI". Une précaution semble-t-il déjà présente dans les priorités des DRH des grandes organisations. Dont 80% placent en tête de leurs objectifs pour 2012 (baromètre RH de CSC) "l'accompagnement des transformations organisationnelles de l'entreprise".