Analyse : serveurs x86, le printemps relance la bataille entre Intel et AMD
Alors que les performances de leurs puces n'ont jamais été aussi proches, Intel et AMD affichent des stratégies radicalement différentes sur le marché des serveurs x86. Le premier, tout en préservant sa domination sur le marché des serveurs bi-socket, veut créer une nouvelle niche lucrative sur le marché des serveurs quadri-socket en empiétant sur le marché des serveurs Unix. A l'occasion du lancement de ses Opteron 6100, AMD entend, quant à lui, jouer la carte des performances et des prix pour regagner du terrain sur le marché du bi-socket. Tout en banalisant les serveurs quadri-socket en les rendant aussi abordables que les serveurs bi-socket.
AU SOMMAIRE...
- Introduction
- Nehalem-EX veut chasser sur les plates-bandes d’Unix
- Serveurs bi-socket : l’Opteron repasse devant les Xeon
En moins de 15 jours, AMD et Intel ont largement refondu leurs gammes de processeurs serveurs x86 et l’on commence à y voir un peu plus clair sur ce que seront les stratégies des deux fondeurs pour les mois à venir. Et le moins que l’on puisse dire est que les deux fondeurs ne partent pas dans les mêmes directions, notamment sur le haut de gamme.
Intel, tout d’abord, a récemment remplacé ses puces Xeon 5500 «Nehalem» par la génération 5600 «Westmere» gravée en 32 nm et motorisée - pour les versions haut de gamme- par six coeurs processeurs. Comme leurs prédécesseurs, ces microprocesseurs ont pour mission de maintenir l’archi-dominance de la firme sur le marché des serveurs bi-sockets, qui représentent aujourd’hui près de 75 % des achats de serveurs mondiaux en volume. Intel contrôlerait aujourd'hui près de 90% de ce marché du bi-socket.
En face des Xeon 5600, AMD aligne sa nouvelle génération de puces en 45nm, les Opteron 6100 «Magny-cours», des processeurs à 12 coeurs physiques, dont la mission est à la fois de porter le fer contre les Xeon 5600, mais aussi de fournir la réplique aux Xeon 7500 «Nehalem-EX» annoncés hier par Intel sur le marché des serveurs quadri-socket. Et c’est justement sur ce marché des serveurs x86 haut de gamme que les différences entre les deux fondeurs sont les plus criantes. Car si Intel joue la carte de la montée en gamme pour aller concurrencer les serveurs Unix, AMD lui entend jouer une partition radicalement différente en banalisant les serveurs quadri-socket. Et pour cela, il mise sur des prix particulièrement agressifs (environ deux fois inférieurs à ceux des serveurs Intel, pour rendre les serveurs quadri-sockets accessibles au plus grand nombre.
Intel a enfin tombé le masque quant à ses ambitions avec le Xeon 7500. Désormais, l’objectif est clair : il s’agit d’aller chasser sur les terres des serveurs Unix et notamment de permettre à l’architecture x86 d’affronter les Power, Sparc et autres Itanium. Après des années de dénégation, Intel admet enfin qu’Itanium n’est plus sa seule alternative pour le haut de gamme et plante avec toute la diplomatie qu’il se doit un couteau empoisonné dans le dos d’HP à quelques semaines du lancement par ce dernier de sa nouvelle génération de serveurs Itanium. Seule consolation pour HP, le Xeon «Nehalem-EX» est facturé à des prix aussi élevés que les Itanium.
Techniquement, le Xeon 7500 «Nehalem-EX» apporte de nombreuses améliorations en terme de RAS (Reliability, Availability and Serviceability - littéralement, fiabilité, disponibilité et simplicité de maintenance), afin de se positionner en alternative aux puces Risc. En revanche, côté performance, il n’est pas forcément la «Formule 1» que décrit Intel, même si le fondeur a fait de nombreux progrès par rapport à sa génération de puces quadri-socket antérieure. Ainsi les premeirs serveurs quadri-socket à base de Xeon 7500 peinent sur bon nombre de benchmark à dépasser les anciens octo-socket Opteron, ce qui veut sans doute dire que la puce d'Intel ne sera que marginalement plus performante que l’Opteron 6100 en utilisation réelle (d'ailleurs l'Opteron 6100 est au coude à coude avec le Xeon 7500 en calculs entiers et supérieur de 10% en virgule flottante- voir à ce propos le graphique de test SpecCPU page suivante). Sauf que là où AMD a semble-t-il abandonné toute idée de se battre au delà du serveur quadri-socket, Intel veut en découdre avec les grands serveurs SMP Unix.
Dans la pratique, la plupart des constructeurs devraient proposer des serveurs quadri-socket à base de Xeon 7500 et proposer de les agréger dans des ensembles plus ambitieux. IBM permettra ainsi l’agrégation de deux noeuds Xeon 7500 en un serveur SMP à huit socket. Bull de son côté se lance avec des noeuds «Bullx S» à 4 sockets mais permettra à l’automne leur agrégation en des systèmes bien plus ambitieux. Il sera ainsi possible de constituer des serveurs Bullx à 16 socket. Fujitsu se lance aussi sur le marché des grands serveurs x86 avec ses PrimeQuest 1400E (4 sockets) et PrimeQuest 1800E. Quant à SGI, il bat tous les records avec sa gamme Altix UV capable d’assembler en un seul système NUMA jusqu’à 64 noeuds quadri-sockets soit un impressionnant total de 2048 coeurs processeurs pour un unique système x86.
Une stratégie haut de gamme contrée par AMD avec des prix agressifs
La facture devrait être à la hauteur des prestations annoncées (telles que le support du mirroring de mémoire, des fonctions de corrections d’erreur renforcées...). Il en coûtera ainsi quelque 30000$ pour un serveur Dell R910 à quatre sockets équipé de quatre puces Xeon 7560 et de 64 Go de RAM. Soit environ deux fois le prix d’un serveur quadri-socket Opteron 6176 configuré de façon similaire.
D’un autre côté, un serveur à base de Xeon 7500 devrait être environ 3 fois moins cher qu’un Power 750 d’IBM à base de Power7 tout en offrant environ 2/3 des performances sous SAP (57120 SAPS au benchmark SAP SD pour un System x 3850 contre 85220 pour le Power 750 équipé de quatre Power7 à 3,55 GHz).
Il devrait aussi offrir 80 % des performances Java du même Power 750 (env. 2 millions de Jbops contre 2,48 Millions de Jbops au benchmark Specjbb 2005). Le risque pour Intel, est que la stratégie de prix particulièrement agressive d’AMD fasse obstacle au décollage des Xeon 7500. AMD explique ainsi qu’un serveur quadri socket équipé de ses puces coûtera moins cher que deux serveurs bi-socket, ce qui bien sûr n’est pas du tout l’objectif d’Intel, qui cherche avec Nehalem-EX à se créer une nouvelle niche à forte marge sur le haut de gamme comme il avait tenté de le faire avec l’Itanium...
L’une des surprises de ce printemps est le retour en force d’AMD sur le marché des serveurs bi-sockets, un marché sur lequel Intel est archi-dominant depuis le fiasco du lancement de Barcelona (un bug dans le TLB de la première puce quadri-coeur d’AMD avait alors contraint ce dernier à repousser de près de neuf mois sa puce).
L’an passé, Intel a creusé l’écart avec ses Xeon 5500 «Nehalem», et l’on pensait que le fondeur maintiendrait son concurrent à distance avec les nouveaux Xeon 5600 «Westmere», ses premières puces pour serveurs gravées en 32 nm. Il n’en est rien. Tant en matière de consommation qu’en matière de performances, AMD parvient à rivaliser avec les derniers nés d’Intel et ce alors que ses puces sont pourtant gravées en 45 nm. Autre avantage, la grille tarifaire d’AMD est bien plus agressive que celle d’Intel notamment en milieu et en haut de gamme, ce qui devrait permettre aux constructeurs de continuer à proposer des serveurs à base de puces AMD à des tarifs plus abordables que leurs machines à base de puces Intel. C'est d'ailleurs en partant de ce constat qu'Acer a décidé de baser une large partie de son offre de serveurs - vendue sous la marque Gateway - sur les puces d'AMD. Comme l'explique Giancarlo Degliesposti, le vice-président des serveurs chez Acer, le prix des serveurs n'a cessé d'augmenter depuis le lancement des Xeon 5500 et la part de marché d'Intel n'a jamais été aussi élevée. Il était donc nécessaire qu'AMD offre une alternative compétitive pour garder Intel "honnête". Dans les mois à venir, Gateway entend ainsi grignoter des parts de marché sur les géants du secteurs en s'appuyant sur la compétitivité tarifaire de ses serveurs Opteron. Objectif : contrôler 10% du marché des serveurs d'ici la fin 2011, un score qui ferait de Gateway-Acer, le n°3 en Europe sur les serveurs x86.
Des performances en nette progression
Les derniers processeurs d'Intel et AMD, les Xeon 5600 et Opteron 6100, apportent des améliorations significatives en matière de performances par rapport aux serveurs existants. En calcul entier, le Xeon 5680, le haut de gamme de l’offre Intel affiche ainsi un score de 379 SpecInt Rate, soit un gain de 45% par rapport au précédent fleuron de la gamme du fondeur, le Xeon 5570. Un Opteron 6174 à 2,2 GHz, affiche quant à lui un score de 398, en hausse de 86% par rapport au précédent Opteron 2439SE (à noter qu’il existe aussi un 6176 SE à 2,3 GHz, dont le score devrait logiquement dépasser les 410 SpecInt Rate).
Pour la petite histoire l’Opteron 6176 ne consomme que 80 W quand son concurrent, le Xeon 5680 consomme 130W. Si l’on avait utilisé un Xeon 5660 (95W) pour la comparaison, alors le score SpecInt Rate aurait été de 350, soit un avantage de 15% à consommation similaire pour l'Opteron. En virgule flottante, l’avantage d’AMD est encore plus fort puisque le Xeon 5680 plafonne à 256 SpecFp Rate (242 pour le Xeon 5660) là où l’Opteron 6174 atteint un score de 318.
Bref sur tous les compartiments, l’Opteron affiche une avance de l’ordre de 15% par rapport au Xeon tout en ayant l’avantage en matière de consommation et de prix. Il faudra toutefois attendre quelques semaines et les premiers benchmarks SAP SD, VMMark et SpecJbb sur l’Opteron 6100 pour se faire une idée des performances des nouveaux serveurs face à leurs homologues à base de puces Intel.
Des nouveaux serveurs bi-socket Opteron chez HP, Dell, Gateway et SGI
On devrait notamment retrouver des machines bi-socket AMD chez HP (qui vient d’annoncer sa gamme G7 à base de puces Opteron), mais aussi chez Dell, SGI ainsi que chez un nouveau venu, Acer qui a annoncé le lancement d’une gamme complète de serveurs à base de puces Opteron cette semaine, sous la marque Gateway. IBM et Oracle n’ont pour l’instant pas indiqué leurs intentions. Le premier, historiquement fidèle à AMD, n’a pour l’instant refondu que ses gammes de serveurs Intel. Quand au second, qui s’est lancé sur le marché x86 avec une gamme de serveurs équipée exclusivement de puces AMD, bien malin qui pourrait deviner sa stratégie tant le mystère plane sur son offre x86.
Terminons en signalant qu’AMD dispose d’une dernière carte dans sa manche pour perturber un peu plus Intel sur le marché des serveurs. Au début de l’été le fondeur devrait en effet lancer la gamme Opteron 4100, des puces optimisées pour les serveurs mono et bi-processeurs d’entrée de gamme, à des prix allant de 99 $ à 455$, soit des tarifs encore jamais vu sur le marché des serveurs. de quoi prendre en tenaille l’offre Xeon 5600 sur le marché des serveurs-bi-socket et - c'est en tout cas ce qu'AMD espère - regagner des parts de marché sur un segment stratégique, qui représente près de trois quart des achats de serveurs des entreprises.