Le Sénat fait du libre une priorité dans l’éducatif numérique. Syntec et l’Afdel s’insurgent

Alors le projet de loi portant sur la refondation de l’école de la République est actuellement en première lecture au Sénat, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a décidé de modifier le texte original en y ajoutant une disposition faisant du libre et des formats standards une priorité dans l'e-éducation. Syntec Numérique et l’Afdel crient à la discrimination.

Alors le projet de loi portant sur la refondation de l’école de la République est actuellement en première lecture au Sénat, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a décidé de modifier le texte original en y ajoutant une disposition faisant du libre et des formats standards une priorité dans l'e-éducation. Syntec Numérique et l’Afdel crient à la discrimination.

Un amendement proposé par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication au projet de loi sur la refondation de l’école de la République a suscité une levée de bouclier des syndicats représentants le secteur IT, Syntec et Afdel réunis. En cause, l’ajout au texte, qui est actuellement examiné par le Sénat après une première adoption en mars dernier par l’Assemblée Nationale, d’une disposition donnant «la priorité aux logiciels libres ainsi qu’aux formats ouverts» dans ce qui sera le prochain service public du numérique éducatif. L’article 10 du projet de loi, modifié par la commission, porte désormais la mention : « Ce service public utilise en priorité des logiciels libres et des formats ouverts de documents. » 
Cet article 10 a la vocation de donner une place au numérique dans le système éducatif français et d’y favoriser l’usage de technologies et de ressources numériques à des fins pédagogiques, notamment. La France est souvent pointée du doigt comme étant l’un des pays développés les plus en retard en la matière. En dépit de projets clairsemés de cartables numériques, de tableaux blancs interactifs ou encore d’espaces numériques de travail, le numérique peine encore à entrer dans les salles de classe. 

La Corée du Sud, en revanche, est souvent citée en exemple dans le monde, non seulement pour son usage de terminaux, mais également pour ses efforts de numérisation des cours. Dans ce contexte, la commission a donc souhaité que le libre et les formats standards occupent une place de choix, rejoignant ainsi les principes énoncés dans la circulaire du Premier Ministre Jean-Marc Ayrault, qui invite les ministères français à considérer le logiciel libre à égalité avec les logiciels dits propriétaires. 

Des dispositions «discriminatoires» et «inconstitutionnelles» 
Chez Syntec, syndicat patronal des SSII et des éditeurs, et à l’Afdel, l'association française des éditeurs de logiciels, cette modification du texte a fait l’effet d’une petite bombe. Les deux organismes ont ainsi dénoncé " une atteinte au principe de neutralité des achats des marchés publics". Une discrimination pour l’Afdel : «De telles orientations, si elles étaient confirmées et étendues,  reviendraient donc à exclure de facto et arbitrairement 5 000 entreprises de la commande publique, dont une majorité de Start-ups et de PME», indique un communiqué de l’Association. Favoritisme et «mesures discriminatoires infondées» pour Syntec : «écarter la fourniture de certaines solutions, en imposant un type de logiciels, violerait les principes fondamentaux de la commande publique consacrés tant au niveau français qu’européen et jamais démentis». 
Evoquant même le caractère inconstitutionnel de ces dispositions et  «le risque de recours contentieux entre les opérateurs privés du secteur et les administrations». Syntec va également plus loin, mentionnant «les conséquences que ces dispositions auraient sur la lisibilité de l'offre e-éducative française à l'international», faute de «pluralisme» dans les marchés publics. 
L’Afdel rappelle également que le projet de loi sur l’Enseignement supérieur et la Recherche (ESR), qui est actuellement examiné en séance publique à l’Assemblée nationale, comporte également une clause donnant la priorité aux logiciels libres. Pour l’Association, c’en est vraiment trop. 

Le CNLL et l’April crient au mensonge

 

 François Cointe : "C'est GNU que v'là !"(cliquer sur le dessin pour agrandir)

Évidemment, la perception est tout autre du côté de l’écosystème du libre en France. Ce dernier contre-attaque, pointant du doigt les propos de l’Afdel et du Syntec portant sur le caractère illégal de cette clause libre. «Contrairement aux affirmations d'organisations représentant le logiciel propriétaire, le caractère légal et légitime d’une préférence pour le logiciel libre dans le cadre d’un appel d’offres public a été validé à maintes reprises, avec en particulier l'appel d'offres Espaces Numériques de Travail de la Région Ile de France en 2008, ainsi que la décision du Conseil d’Etat de septembre 2011», explique ainsi le Conseil National du Logiciel Libre (CNLL) dans une déclaration officielle. Ajoutant : «  Les caractéristiques de la licence des logiciels sont évidemment des critères de choix totalement objectifs, que le donneur d’ordre est libre d’exiger s’il le juge profitable et pertinent en référence à ses besoins et son contexte d’utilisation.» «Contrairement à ce qui a été prétendu par le Syntec Numérique par exemple,  ce type de clause est parfaitement légal, et a d'ailleurs été validé par le Conseil d'État dans sa décision du 30 septembre 2011», affirme quant à elle l’April, l’association en charge de la promotion et de la défense du logiciel libre. L’association se félicite d’ailleurs que «la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat ait reconnu l'importance des formats ouverts et des logiciels libres pour le service public du numérique éducatif, car eux seuls permettent de garantir l'égal accès de tous à ce futur service public». 

Un point de vue que partage aussi Linagora, SSLL française, qui s’est empressée de commenter l’événement : «S'il y a bien un domaine où le recours aux logiciels libres devrait être la règle, c'est bien celui de la formation et de l'éducation. La France peut s'enorgueillir, à juste titre, d'être à l'origine du généreux projet Sankoré ( http://sankore.org/fr) qui vise à encourager les projets éducatifs dans les pays en développement. Ce projet repose sur un logiciel libre, une communauté éducative fortement impliquée et le partage de ressources éducatives numériques libres», rappelle enfin la société d’Alexandre Zapolsky, son Pdg. 

Un parfum de guerre des formats qui nous ramène cinq ans en arrière 
Les positions des deux camps nous ramènent près de cinq ans en arrière lorsque la bataille entre partisans des formats ouverts et des formats Microsoft faisait rage. A l'époque, Microsoft avait utilisé tout son pouvoir de lobbying pour torpiller les efforts de standardisation français autour des formats ouverts et notamment d'ODF. Et avait largement réussi à couler les principes énoncés dans le projet de référentiel général d'interopérabilité de l'ADAE. 
Gageons que ces efforts de lobbying devraient redoubler dans les prochaines semaines. Car on ne parle pas cette fois-ci d'un règlement que l'on peut modifier simplement à la DISIC (Direction interministérielle des systèmes d'information et de communication), mais d'une loi de la République...  

Pour approfondir sur Open Source