Exclusif : comment le partenariat Versailles-Logica a viré au pugilat
Ce devait être le premier partenariat public-privé (PPP) dans les services informatiques. Ce sera surtout le premier pugilat public-privé. En mai dernier, le château de Versailles a décidé de rompre le contrat de 10 ans qui le liait à Logica. La SSII juge cette rupture illégitime et porte l'affaire devant les tribunaux. Une procédure rarissime.
« Logica a livré un système de billetterie d’ores et déjà en service au Château de Versailles. Nous ne comprenons pas cette rupture de contrat. L’affaire est aujourd’hui portée devant les tribunaux compétents ». La réaction officielle de Logica à la rupture du contrat qui le liait au Château de Versailles - un contrat de 10 ans revêtant une forme inédite pour la livraison d'une application informatique - est aussi laconique que brutale et inhabituelle dans un secteur où les contentieux se règlent en général discrètement.
La rupture remonte à mai dernier - soit à peine plus d'un an après la signature -, le Château de Versailles ayant alors décidé de casser son contrat avec la SSII. Une information que nous a confirmée Jean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public et ex ministre de la Culture et de la Communication. "Ce partenariat a été rompu mais pas à l'amiable. Nous avons des griefs à formuler à l'encontre de Logica", nous a-t-il expliqué. Tout en se refusant à faire l'exposé de ces griefs. Le jour de son appel (le 20 novembre), ce dernier espérait encore parvenir à un accord amiable avec la SSII, tout en reconnaissant n'avoir aucune réponse de Logica sur ce sujet. La réponse officielle que cette dernière nous a transmise vendredi dernier (le 21) ne laisse plus d'espoir à l'établissement : la SSII est désormais décidée à porter l'affaire devant les tribunaux.
Billetterie : les performances en question
D'une durée exceptionnelle de 10 ans, pour un montant de 21 millions d'euros, ce contrat était surtout le premier partenariat public-privé (PPP) dans les services informatiques. Cette forme de contrat, à mi-chemin entre la délégation de services publics et un classique marché public, a été mis en place en France depuis la publication d'une ordonnance de 2004. Inspiré du modèle anglais, le PPP laisse au prestataire privé le soin de réaliser les investissements et d'assurer l'exploitation du système contre un paiement étalé sur la durée, assorti de bonus-malus.
Signé début 2007 entre l'établissement et la SSII Unilog (racheté depuis par l'Anglais Logica), le partenariat a rapidement viré à l'aigre. Et ce, sur tous les aspects du contrat. Au centre de celui-ci, le logiciel de billetterie a notamment cristallisé les rancoeurs. "Logica a pensé pouvoir en assurer la conception seul, explique Kevin Van Lichtervelde, de la CGT culture du Château de Versailles. Et s'est vite rendu compte que ce serait difficile." Le syndicaliste dénonce également les délais d'encaissement par carte bancaire, qui ont été multipliés par trois ou quatre avec l'arrivée du nouveau système.
Des choix techniques contestables
Sous-traitant de Logica, et fournisseur du logiciel de billetterie au coeur de la solution mise en place par la SSII, Satori dénonce également les errements du prestataire. Son Pdg, Loïc Le Gac, dit s'être senti pris au piège de ce contrat, dans lequel il n'était que sous-traitant. "Cette mésaventure est liée à la méconnaissance du secteur par le prestataire. La billetterie n'a été mise en production qu'en octobre 2007, soit huit mois après la signature du contrat. D'habitude, trois mois suffisent dans ce type de solution", explique le dirigeant de l'éditeur.
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Qui conteste encore les choix techniques de Logica : "Notre logiciel fonctionne en client lourd. Or, le prestataire a choisi de placer la base de données sur un serveur distant, relié via un lien Internet à l'application. Ce qui a dégradé les performances." Enfin, selon lui, Logica aurait sous-estimé le chantier de la monétique, et se serait attaqué tardivement à ce point pourtant crucial via la création d'un pont réseau avec un serveur monétique existant. Un pont défectueux, selon le Pdg. Aujourd'hui, selon Loïc Le Gac, les changements apportés par Satori auraient permis de revenir à des performances correctes pour les équipes des caisses de Versailles.
"Une centaine de points de blocage"
Si la billetterie cristallise les critiques, les autres lots ont eux aussi fait naître des incompréhensions. Distributeurs automatiques de billets parvenus tardivement - tout comme la réservation en ligne sur le site -, centre d'appel insuffisamment adapté aux contraintes d'un établissement comme Versailles, absence des écrans dynamiques censés guider les visiteurs à l'intérieur de l'établissement : autant de points que dénonce la CGT Culture dans un tract datant de la rupture du contrat, fin mai dernier. "Lors d'une réunion avec le direction du Château, nous leur avons remonté une centaine de points de blocage", raconte Kevin Van Lichtervelde.
Restait donc pour l'établissement à casser le contrat. Pas évident, car Logica était propriétaire des matériels et logiciels pendant toute la durée du PPP, soit 10 ans. Si le transfert opérationnel des prestations aux sous-traitants avec lesquels travaillait la SSII (Satori pour le logiciel, Laser Contact pour le centre d'appels) semble s'être déroulé en douceur, la récente crispation entre les deux parties - avec le procès engagé par Logica - est probablement le signe d'un différend sur le volet financier de la sortie de contrat.
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